Article écrit en collaboration avec George Taverne, Senior Consultant.

Au cours de la dernière décennie, les DSI ont su se montrer très actives sur le Cloud et ont souvent acquis une véritable légitimité sur ces technologies. L’externalisation de l’hébergement et le recours à des technologies issues du Cloud de virtualisation et d’automatisation des infrastructures se retrouvent, à divers degrés, dans toutes les entreprises. Néanmoins, les transformations à venir pourraient encore accroître le périmètre de responsabilité des DSI et les recentrer dans la stratégie globale des organisations.

Comment définir un service Cloud ?

  • Au commencement était l’hébergement

Popularisé depuis plus de dix ans notamment grâce à Amazon, le Cloud est aujourd’hui un incontournable dans les DSI. La virtualisation et la standardisation des infrastructures, ainsi que l’amélioration des réseaux ont permis de mutualiser les ressources de calcul et stockage entre de nombreux utilisateurs. Cette révolution de l’hébergement s’est traduite par d’importants projets de transformation des organisations, souvent sur plusieurs années.

Au-delà de la complexité des technologies mises en œuvre, la modernisation de l’hébergement par le Cloud nécessite de profondes évolutions des processus et des cultures.

  • Mais réduire le Cloud à l’hébergement est aujourd’hui trop limitatif

Devant la multiplication des terminologies, une définition simple devient nécessaire. Un service peut être défini comme du Cloud s’il vérifie 6 critères :

  1. La flexibilité
  2. L’élasticité
  3. La résilience
  4. Un modèle locatif « Pay as you go »
  5. L’accessibilité et l’ubiquité
  6. La simplicité et la transparence

Les leaders du Cloud public tels qu’AWS, Microsoft Azure, Google Cloud ou IBM disposent d’une forte avance sur de plus petits concurrents et le niveau atteint sur chacun de ces 6 critères est en amélioration continue. Une investigation approfondie montre que de nombreux fournisseurs proposant des services dits « Cloud » sont loin d’atteindre des niveaux corrects, notamment en résilience et en élasticité.

  • Le Cloud est aujourd’hui un concept bien plus large

L’intensité de la concurrence sur les couches basses du Cloud, le IaaS (pour Infrastructure as a Service), a conduit les acteurs à une diversification et un enrichissement de leurs offres. Les leaders sont parvenus à construire un écosystème, sur lequel de nombreux fournisseurs tiers peuvent se greffer via des interfaces (API). Le Cloud apporte ainsi une profonde rupture avec les traditionnelles applications en silos. Celui-ci est d’ailleurs fréquemment un sous-jacent des principales innovations technologiques récentes. Citons trois exemples emblématiques :

  • La réalité augmentée ou virtuelle

Pour supporter 750 millions de téléchargements en un an, Pokémon GO de Niantic s’est appuyé sur le Cloud de Google tandis qu’AWS propose désormais une version préliminaire de Sumerian permettant de simplifier le développement d’applications de réalité augmentée ou virtuelle.

  • Les objets connectés (IoT)

Alors que les leaders offrent sur leurs plateformes des services dédiés à l’IoT (AWS IoT ou Greengrass, Azure IoT Hub, Google Cloud IoT Core), d’autres acteurs choisissent de s’appuyer sur des infrastructures Cloud éprouvées pour développer leurs services. Ainsi, dans le domaine de l’IoT industriel, GE Predix s’appuie sur les infrastructures de Microsoft Azure alors que PTC Thingworx propose des interfaces avec Azure et AWS.

  • Les assistants personnels

Grandes vedettes du CES 2018, Google Home et Amazon Alexa proposent une chaine complète de traitement du langage jusqu’au contrôle-commande en s’appuyant sur des services Cloud.

Les nouvelles briques du Cloud sont construites selon une approche de plus en plus fonctionnelle et de moins en moins technique. Cette tendance s’illustre par exemple dans le traitement du langage naturel ou d’images : alors que la complexité technologique des algorithmes est masquée aux utilisateurs, l’implémentation du service nécessitera une meilleure connaissance des besoins et usages métiers. Ainsi, le Cloud est au cœur de la convergence des technologies informatiques et industrielles, de plus en plus basées sur les mêmes socles technologiques. Cela se traduit par l’implication de nombreux acteurs, au-delà des DSI.

Le Cloud : une opportunité pour les DSI

Les évolutions en cours replacent les DSI au cœur de la stratégie globale des entreprises et leur donnent un rôle majeur dans au moins 5 grands domaines.

  • Le soutien à l’innovation

Grâce à la modernisation de l’hébergement, la conduite de projets agiles et aux compétences qu’elles concentrent, les DSI sont en position d’apporter une expertise pointue sur ces nouvelles technologies. Cette tendance se manifeste tout particulièrement dans la croissance des approches « low-code » et Application Platform as a Service facilitant le développement par les utilisateurs finaux d’autres lignes de service ou même chez les clients. Pour soutenir cette évolution de la stratégie, les DSI ont alors la responsabilité de sécuriser et d’assurer la cohérence globale d’un SI développé en partie hors de son contrôle direct. Cela passe par une maîtrise approfondie des technologies des couches basses ainsi que par une plus grande pédagogie et capacité à accompagner le changement. Plus globalement, la compréhension au sein des organisations des nouvelles possibilités offertes par le Cloud n’est qu’embryonnaire ou fait, au contraire, l’objet de fantasmes disproportionnés. La maîtrise de ces enjeux permettra de rapprocher les DSI des métiers et d’augmenter leur emprise sur la stratégie globale des organisations.

  • Les modèles économiques

Malgré une documentation publique abondante et l’existence de simulateurs, le modèle self-service et le paiement à l’usage peut être très complexe à anticiper. Des modèles de Cloud hybride ou impliquant différents fournisseurs mais aussi la multiplication des usages au sein de nombreuses lignes métiers conduisent fréquemment à de nombreux coûts cachés. A titre d’exemple, si les fournisseurs de Cloud ne facturent pas les flux de données entre leurs sites, les entrées/sorties entre différents fournisseurs sur des Cloud hybrides peuvent représenter un coût significatif. Par ailleurs, le déploiement du Cloud nécessite la création de nombreux profils de développeurs et d’administrateurs et donc d’autres coûts cachés. Dans certains cas, les promesses d’économie du Cloud ne se réalisent pas, et les organisations peuvent constater une augmentation de leurs coûts globaux par rapport à des solutions sur leurs propres infrastructures. La DSI doit jouer un rôle crucial dans le pilotage et l’optimisation des coûts du Cloud, et donc maîtriser les modèles économiques correspondants.

  • Le Shadow IT

La nouveauté apportée par les nouvelles briques de service du Cloud réside aussi dans leur simplicité et la faiblesse du ticket d’entrée. La convergence de la médiatisation des exemples grands publics tels que les assistants personnels, de la multiplication des cas d’usages industriels et de la facilité avec laquelle il est possible de créer un projet pilote, représente un important risque pour la DSI. Les DSI se trouvent alors prises en étau entre des annonces sur la nécessité d’une accélération de l’innovation ou des initiatives « bottom-up » et des procédures historiques d’allocation des ressources complexes, lentes ou couteuses imposées à des acteurs toujours mieux informés des possibilités du Cloud. Parallèlement à cela, les fournisseurs font de gros efforts pour s’adresser directement aux directions métiers et proposent de solutions sans l’aval de la DSI. Les entreprises découvrent régulièrement des capteurs ou équipements industriels connectés à divers Cloud hors du contrôle de la DSI. Le Shadow IT n’a jamais été aussi simple et potentiellement aussi impactant.

  • La lutte contre la dette technique

Enfin, le Cloud agit comme un formidable accélérateur de l’innovation pour l’ensemble des acteurs de l’économie. Le concept de « dette technique » permet de traduire l’impact sur les organisations d’un parc informatique obsolescent et manquant d’agilité – certaines DSI disposent de systèmes en production depuis plusieurs décennies. Le Cloud apparaît alors comme un puissant instrument de modernisation puisqu’une migration d’un SI dans le Cloud s’accompagne le plus souvent d’un « refactoring » permettant de tirer parti des nouvelles infrastructures. L’adoption d’architectures modulaires, basées sur des API ou des microservices, en est encore à ses balbutiements dans de grandes structures. Paradoxalement, de nombreuses start-ups sont beaucoup plus matures sur ces technologies. Une grande partie de la valorisation de ces petites structures est basée sur leur SI, les données et algorithmes qu’elles possèdent. Le succès d’une acquisition par un grand groupe passe souvent par la capacité de la DSI à assimiler et interfacer le nouveau parc SI. Les DSI ont tout intérêt à être très proactifs sur la modernisation de leur parc applicatif.

  • La réglementation

Le contexte législatif autour du Cloud est complexe et mouvant. Citoyens, entreprises et gouvernements sont de plus en plus concernés par la protection des données. Alors que l’Union Européenne met en application le RGPD, avec au cœur un « consentement explicite et positif » des utilisateurs à l’utilisation de leurs données, les Etats-Unis ont voté le CLOUD Act (Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act, loi clarifiant l’utilisation légale des données à l’étranger), une loi beaucoup plus tournée vers la lutte contre la criminalité et la communication aux autorités. Ces nouvelles lois mettent souvent les entreprises face à leur méconnaissance de leur patrimoine. Il arrive alors que les DSI soient mises sous une forte pression des directions juridiques, métiers, voire générales, pour répondre à de toutes nouvelles interrogations sur la localisation et la teneur des données stockées. Car à la clé de ces nouvelles lois se trouve le risque de sanctions particulièrement sévères financièrement et un important risque pour la réputation de l’entreprise. Devant de tels risques, la DSI doit trouver des réponses convaincantes permettant de protéger son entreprise sans tuer l’innovation.

Une prise de hauteur permet de préparer les prochaines batailles plutôt que de rejouer les précédentes. Cependant, rares sont ceux qui s’accordent le temps de la réflexion. La prise en compte de ces enjeux semble manquer de traction au sein de DSI qui, malgré leur expérience, hésitent à se montrer force de proposition auprès de lignes métiers insuffisamment réceptrices.

Pourtant, ne pas agir serait le pire des choix et mettrait les DSI à la merci d’un agenda qui leur serait imposé par des contraintes métiers ou clients non anticipées. Les DSI doivent impérativement se préparer à ces transformations et affirmer leur rôle de partenaire des métiers : voir grand ; commencer petit ; grandir vite.