La confiance est affaire de volonté calculée. Quand on dit qu’on « fait » confiance, c’est en réalité qu’on décide qu’on le fait. Tout le problème est de la « faire » en meilleure connaissance de cause, en sachant mieux ce que ceci implique entre personnes, dans la société, dans la durée. Au fond, c’est faire que cet acte de volonté soit de mieux en mieux calculé.

La confiance selon Jean-Paul Betbèze

  • Pour Jean-Paul Betbèze, la confiance est un risque calculé.
  • Une relation de confiance est pour lui synonyme d’échanges de valeurs économiques, informationnelles ou sociales.
  • Cette relation implique par ailleurs une notion de contrôle, dont il est important de savoir maîtriser le dosage.

On ne « fait » donc pas plus confiance qu’on ne « donne » sa confiance. La confiance commence par la décision individuelle de « faire » un saut par rapport à l’autre, vers l’autre. Ce saut, c’est celui qui doit être fait entre deux personnes pour réduire l’asymétrie d’information entre elles. Le processus se déroule en quatre étapes :

– Je sais (à peu près) qui je suis et ce que je veux. Mais je ne sais pas vraiment encore qui vous êtes et précisément ce que vous voulez.

– Cependant, je décide de vous faire confiance. Je décide ainsi en conscience de faire le saut et de vous tendre la main.

– Il faut donc que vous le sachiez à votre tour, puisqu’il ne s’agit là que de mon premier pas, que de mon premier saut. A vous donc de le savoir pour en comprendre les modalités.

– Et à vous de vous engager pour la suite, pour les prochains échanges. C’est donc un risque calculé pour être nécessairement répété, donc échangé, donc en fait « augmenté », étant mieux calculé.

Une main tendue

Bien sûr, dans ces échanges de confiance, vous allez me donner des preuves, des garanties, des gages, souvent en contrepartie des miennes. Pas de confiance sans échanges. Il peut s’agir de valeurs économiques (caution), informationnelles (confidence) ou encore sociales (signature). Si tout se passe bien, tout est prêt pour recommencer, en plus grand et/ou sur d’autres terrains, et surtout avec relativement moins de cautions et garanties qu’avant. La confiance, en réalité, est là, parce qu’elle grandit à partir de ce moment-là.

 

La confiance qui avance les yeux fermés n’avance donc jamais bien loin, car il y a et aura toujours besoin de précisions, réglages, contrôles et vérifications

 

C’est ainsi par cet ensemble de jeux répétés que se bâtit la confiance, et qu’elle permet plus de croissance. C’est donc plus de risque, avec relativement moins de collatéral tangible. La confiance est, dans l’espace relationnel et économique, ce qu’est l’effet levier en finance. Elle permet plus, avec moins. C’est le collatéral intangible.

Donc la confiance est toujours une affaire de dynamique. Elle se construit et se renforce, car elle se teste en permanence. N’oublions pas qu’elle est toujours un saut, une main tendue, qui attend toujours la réciproque. Comme tout peut se renforcer, tout doit donc le faire, car autrement tout peut s’affaiblir, se réduire, s’effilocher, se briser.

Quelle place pour le contrôle ?

La confiance qui avance les yeux fermés n’avance donc jamais bien loin, car il y a et aura toujours besoin de précisions, réglages, contrôles et vérifications – sans compter les déconvenues, voire les drames qui arrivent toujours. A fortiori si les enjeux sont plus importants et si le terrain des échanges change. Trust and verify disent les Anglais, une expression qui vient des Russes, ou plus exactement de Lénine, dit-on : доверять и проверять. La confiance n’exclut pas le contrôle, traduisent les Français. On comprend.

Mais attention, tout est affaire de dosage : tout le monde comprend un certain contrôle, un certain niveau de vérification. Mais personne ne comprendra que la vérification soit trop forte, constante, intrusive ou pire secrète, masquée, espionne (on aura reconnu ce qui se passe avec les leaks entre alliés). Car ce contrôle-là détruit la confiance. Il faut donc un « certain contrôle » ou plus exactement une certaine vigilance. Dans ce contexte, il faut donc préciser avant le protocole de confiance. La confiance se renforce en fait dans et par le cadre d’un protocole accepté de vérifications : elle aide alors tout le monde.

C’est à ce stade que se pose la question des relations entre confiance et droit. Le droit est censé protéger celui qui a rompu le pacte. Donc il est indispensable en amont, pour préparer le terrain. Le droit fait alors se demander « ce qui se passera si » et prévoir les mesures appropriées. Chaque fois, en discutant avec le juriste quand on prépare le contrat, on peut s’inquiéter de son penchant au noir, au pire, à la crise. Mais c’est là son travail : il éclaire sur certains risques, sur certains aspects obscurs des relations, sur ce qui peut advenir. Il met alors l’accent sur les points à surveiller et les garanties à demander. On ne pourra plus dire qu’on n’a pas étudié divers cas, jamais tous – bien sûr.

La signature ne peut donc se faire les yeux fermés, car c’est dangereux pour tous. Et même en confiance, on ne peut jamais tout prévoir : il est donc mutuellement bon d’éclairer les risques, de préciser des impasses et d’étudier, avant de signer, les conflits possibles et leurs règlements. Ensuite, le document signé, c’est pour une bonne part à la justice de faire son travail. L’avocat du diable, au Vatican, c’est celui qui analyse à charge dans les procès de canonisation. Au fond, c’est lui qui fait les saints ! C’est le juste contrôle qui fait la confiance, ce n’est surtout pas la défiance qui est une attitude à dépasser et combattre en permanence, ce n’est pas non plus la cécité.

La mesure de la confiance

C’est dans ce contexte des protocoles de confiance, à côté du droit, qu’interviennent les experts des mesures chiffrées, les hommes et femmes du chiffre. Par construction, tout contrat a un aspect économique, à titre principal (pour créer une entreprise) ou secondaire (pour un mariage). La vie des entreprises est ainsi pleine de contrats, de plus en plus complexes. Tous comportent une part écrite et une part non écrite, et c’est la part non écrite qui est celle de la confiance, en liaison décisive avec la part écrite. Ce sont les chiffres qui aident à la mesure, au contrôle et plus fondamentalement à la prévoyance.

Dans les entreprises, la confiance permet d’établir et d’envoyer des chiffres crédibles en interne, dans les comités d’audit, les conseils d’administration, puis aux structures fiscales et administratives, à la presse, aux actionnaires, aux débiteurs, bref à tout le monde. Le commissaire aux comptes a un devoir d’alerte, chacun le sait. La plupart des contrats de prêt sont assortis de conditions (covenants) qui mesurent l’évolution de la santé de l’entreprise, interdisent des niveaux de crédits jugés excessifs ou à l’entreprise de s’aventurer dans des domaines plus risqués (secteurs ou pays). L’entreprise qui signe comprend la nécessité de ce contrôle permanent et d’ailleurs le publie. Cette confiance, par construction conditionnelle, montre qu’on lui a fait confiance et qu’on peut donc lui faire confiance car elle maîtrise, autant que possible, son risque.

Oui, pas de croissance – car pas de société – sans confiance, pas de confiance sans règles, écrites et non écrites, pour la renforcer en permanence. C’est cela, la résilience.