En collaboration avec Olivier Lallement, Senior Manager Deloitte Digital et Eliott Buisson, Consultant Senior Deloitte Digital.

L’émergence de l’ « Industrie 4.0 » est une réalité : de nombreux secteurs ont déjà lancé de grands projets de transformation. Il est donc temps, pour les groupes industriels, de franchir le cap et de préparer dès maintenant la transition, notamment en opérant une convergence entre systèmes d’information industriels (SII) / Operation Technology « OT » et systèmes d’information d’entreprise (SIE) / Information Technology (IT). Une telle stratégie entraîne de nouveaux défis en termes de maitrise du patrimoine des équipements industriels connectés, de cyber-sécurité de ces équipements et de valorisation des données. De la réussite de cette convergence, au cœur de la mission des DSI, dépend celle de la transformation du monde industriel dans les années à venir.

SIE et SII, deux mondes historiquement distincts

Profondément différents, en termes d’objectifs métiers, de solutions technologiques, de standards, d’organisation et de compétences, le SI industriel et le SI d’entreprise sont longtemps restés isolés l’un de l’autre. Cette logique s’inscrivait dans une logique de spécialisation des processus, mais également de sécurisation des activités opérationnelles des sites industriels. Les SI d’entreprises ont vocation à centraliser les informations de pilotage de l’entreprise et à automatiser les processus de support, tandis que les SI industriels permettent de contrôler les équipements industriels et d’exécuter les processus de production. Ces systèmes reposaient également sur des technologies fondamentalement différentes : le monde de l’« Information Technology » d’un côté, reposant sur fortement sur l’intelligence logiciel et sur des standards très ouverts, le monde « Operations Technology » de l’autre fortement dépendant de dispositifs physiques (capteurs, automates, superviseurs…) et ayant longtemps privilégiés des technologies propriétaires. Si les SI d’entreprise exigent des compétences en informatique, en digital, en data ou encore en sécurité réseaux, les SI industriels font appel quant à eux à des compétences en automatique industriel, en contrôle avancé ou en génie des procédés. Ces deux univers avaient peu de points communs à leur création et ils n’ont pas été amenés à communiquer largement ni à partager leurs savoir-faire depuis lors.

Cependant, une convergence IT/OT est en marche depuis plusieurs années avec l’adoption croissante des technologies IT par les équipements industriels.

L’émergence de l’industrie 4.0

Depuis le milieu des années 2000, le monde industriel connait en effet un bouleversement majeur avec l’adoption des technologies Cloud, des capteurs intelligents, du Big Data, des API et du Wireless. Les solutions proposées par les spécialistes du SI industriel évoluent vers un écosystème de plus en plus ouvert et tissent de plus en plus de liens vers le SI d’entreprise pour proposer des fonctionnalités liées à la mobilité industrielle, à la supervision déportée et à l’optimisation des processsus. Les systèmes industriels deviennent en effet, de plus en plus, des équipements connectés, capable de transmettre de précieuses données sur l’environnement industriel d’un site, et de dialoguer facilement avec le monde IT grâce à l’intégration croissante du standard de communication « Internet Protocol (IP) ». A l’image de la téléphonie, qui a vu ses usages transformés avec l’intégration de l’IP et qui a intégré le périmètre des offres de la DSI, le SI industriel peut gagner en performance en bénéficiant  des savoir-faire de la DSI.

L’émergence de l’industrie 4.0 est donc fondée sur un rapprochement entre le monde industriel et le monde informatique, convergeant autour d’un socle technologique commun et confrontés aux mêmes défis de cyber-sécurité, de pilotage du patrimoine matériel et logiciel et de valorisation des données issues des équipements.

Une transformation en cours dans l’industrie

Aujourd’hui, plus de 80% des grands acteurs industriels ont déjà engagé une réflexion sur la convergence IT/OT[1], avec différents degrés de maturité. Confronté depuis de nombreuses années à la chute du prix des matières premières, le secteur minier a initié très tôt une convergence IT/OT. Ainsi, BHP Billiton a engagé un projet de convergence IT/OT dès 2012[2] pour automatiser sa chaine de production et réduire ses coûts d’exploitation. En 2014, BHP Billiton a accéléré le déploiement de camions autonomes sans conducteur dans ses mines en Australie[3] et au Nouveau Mexique[4]. En 2015, le groupe a recruté une nouvelle Chief Technology Officer pour piloter la convergence IT/OT et diriger une nouvelle entité centrale « Global Technology »[5]. En Juillet 2016, un premier centre de supervision intégré a été ouvert pour suivre à distance les opérations d’extraction minières et nécessitant l’intégration des équipes locales IT et OT[6]. Ces initiatives ont permis d’améliorer la sécurité et d’optimiser les opérations.

Pour les industriels qui ont déjà engagé ces grands projets de convergence IT/OT, les bénéfices sont nombreux :

  • Réduction des risques, et notamment renforcement de la cyber-sécurité
  • Réduction des coûts, à travers la mutualisation des plateformes technologiques et la rationalisation de la gestion des achats
  • Amélioration de la fiabilité des équipements industriels, grâce à la maintenance prédictive, la supervision et le pilotage à distance, la rationalisation de la gestion des équipements IT et OT
  • Amélioration de la qualité de service, via une meilleure réactivité aux besoins métiers, une réduction des délais d’intervention en cas d’urgences et une meilleure capacité à convertir les besoins en nouveaux services et nouvelles applications

Dans cette transformation en cours dans l’industrie, les DSI sont idéalement positionnées pour apporter de l’expertise IT au monde industriel et contribuer à une transformation au cœur des métiers.

Quel est le rôle de la DSI dans cette transformation ?

Une nouvelle définition de l’IT peut être envisagée autour de ce nouveau socle technologique commun IT/OT. Ainsi, l’IT peut être redéfini comme l’ensemble des équipements matériels et logiciels générateurs de données et capables de transmettre ces données via le standard de communication IP.

L’élargissement du périmètre IT et son extension au domaine industriel implique de d’interroger sur le rôle et le positionnement des DSI. Ne doit-on pas envisager une responsabilité étendue sur ce nouvel ensemble interconnecté ? N’est-il pas temps de créer une Direction Technologique pour gérer et faire évoluer ce patrimoine complexe au cœur des sites industriels ?

La DSI possède déjà une certaine légitimité pour piloter cette transformation. Elle peut s’appuyer sur son expertise en cyber-sécurité pour gérer la sécurité du SII des sites industriels, étendre ses capacités d’Asset Management aux actifs logiciels du SII et capitaliser sur ses offres Analytics pour tirer plus de valeur des données générées par le SII. Il s’agit, finalement, des grands métiers historiques de la DSI, traditionnellement positionnée sur le triple enjeu sécurité/maitrise d’un patrimoine IT/collecte et valorisation des données.

Pour disposer de la légitimité et de la maturité suffisante afin de piloter ce nouveau socle technologique en émergence, de nouvelles compétences transverses à l’IT et à l’OT sont nécessaires. La DSI doit davantage se rapprocher du monde industriel pour développer ses compétences OT et ainsi gagner cette légitimité.

A terme, la DSI a même l’opportunité de s’émanciper de son statut de fonction support et de fournir de réels leviers de valeur pour l’entreprise en devenant une Direction des Technologies responsable du socle IT/OT.

Concrètement, comment mettre en œuvre la transformation ?

A mesure que la frontière entre IT et OT s’estompe, de nouveaux défis stratégiques, technologiques et organisationnels apparaissent pour les groupes industriels, aujourd’hui pénalisés par le cloisonnement des deux mondes.

Pour réaliser la convergence IT/OT, ceux-ci doivent désormais adopter une démarche commune, en adoptant une vision transverse, une offre de services commune, une gouvernance centralisée des équipements IT/OT, un modèle opérationnel intégré et en faisant converger les standards et normes pour déployer une architecture IoT transverse. Cette dernière est le chainon manquant pour faciliter la collecte et l’exploitation des données des équipements industriels et pour améliorer le pilotage des processus métiers.

La convergence des deux mondes nécessite également une réflexion autour de la convergence des modes de travail et des compétences IT/OT à développer afin que chacun intègre les besoins et contraintes de ce nouvel ensemble.

Pour relever ces défis et engager les chantiers de la convergence IT/OT, une importante conduite du changement doit être mise en œuvre, accompagnée d’un fort sponsor de niveau exécutif. De plus, la convergence doit permettre d’identifier des bénéfices à court terme pour toutes les parties prenantes impliquées.

La convergence IT/OT devient ainsi un prérequis pour saisir les opportunités liées à l’Industrie 4.0 telles que l’usine virtualisée et autopilotée, la maintenance prédictive, les centres de supervision intégrés, les robots d’inspection autonomes ou encore les « Wearables Devices » des opérateurs du futur.

La convergence IT/OT en marche permet d’espérer des bénéfices très importants pour les groupes industriels, en termes de réduction de coût et d’optimisation des sites. La DSI a un rôle à jouer important dans cette transformation, car elle est garante des sujets de cyber sécurité, de valorisation des données et de maitrise du patrimoine des équipements connectés. Ces évolutions lui permettent  de se repositionner sur des métiers plus au cœur de l’activité de l’entreprise et d’accompagner la transition vers un monde industriel connecté et automatisé. En se repositionnant ainsi, la DSI devient une Direction des Technologies englobant IT et OT et se positionne comme un acteur clé de la transformation vers l’industrie 4.0.

 

[1] Enquête Gartner « Progressing to a Digital Business Future through IT/OT Transformation » conduite auprès de 360 organisations dans 8 pays – 22 décembre 2015
[2] Deloitte a accompagné BHP Billiton dès fin 2012 pour établir la stratégie de convergence IT/OT