Article co-écrit avec Hervé Phaure, Associé Risk Advisory

Des bilans de banques solides face à la dégradation attendue de la qualité de crédit des emprunteurs liée au Covid-19

Depuis la dernière crise financière de 2008/2009, les banques, en partie sous la pression du régulateur, ont assaini leurs bilans et renforcé leur solidité bancaire. Ainsi au 31 décembre 2019, le ratio CET1 des principaux groupes français s’établit à près de 14% contre 12,5% 4 ans auparavant1 . Le coût du risque de ces groupes a diminué de moitié (passant de 11% en 2010 à moins de 6% au 31/12/2019 ). Cette tendance est cohérente avec la baisse observée des encours de « Non Performing Loans » (NPL) au niveau européen qui passent de 1 100 milliards d’euros fin 2014 à 584 Mds€ en décembre 2019 dont 120 Mds€ dans le bilan des banques françaises. Aussi le ratio de NPL européen s’est établi à 3,1% au 31/12/2019, après avoir culminé à 7,1% en 2014.

La crise économique qui se profile suite au Covid-19 (8% de récession anticipé) en France va en revanche complexifier la situation actuelle avec une hausse attendue des défaillances des emprunteurs avec cependant encore beaucoup d’incertitudes sur l’évolution à venir.

Les difficultés financières rencontrées par les entreprises et les ménages impliqueront-elles une augmentation significative des NPL, ou sa contention par l’effet des différents plans d’aide mis en place par les gouvernements européens ? Quels agents économiques et quels secteurs seront les plus impactés ? C’est autant de questions que les professionnels du secteur se posent en ce moment.

Bien que l’ensemble des impacts économiques liés au Covid-19 ne soient pas encore connus, la plupart des regards se tournent également vers le sort des petites entreprises dont les auto-entrepreneurs. Doit-on s’attendre à une recrudescence de faillites des petites et moyennes entreprises ? En dépit des aides budgétaires prévues par les gouvernements et autorités financières en soutien aux petites entreprises, l’incertitude demeure sur la remise à flot post-crise.

Concernant les ménages, les prévisions sont moins alarmistes. Le chômage partiel constitue à l’heure actuelle le principal vecteur de difficultés qu’ils rencontrent, entraînant une réduction de leurs ressources sans nécessairement de perte d’emploi à court terme. Néanmoins, on pourrait toutefois s’attendre à une hausse des dépôts de dossiers en surendettement comme ce fut le cas lors de la crise économique de 2008 durant laquelle le nombre de dossiers déposés à la Banque de France en 2009 avait atteint 216 000 dossiers, soit une augmentation d’environ 15% par rapport à l’année précédente. Tant que les pertes d’emploi ne se généralisent pas, des réaménagements de dettes sont à prévoir, avec par exemple des reports d’échéances, des révisions de taux ou encore de dates de maturité. La flexibilité requise par les autorités financières sur la classification des créances en défaut et le traitement au cas par cas pourraient limiter les impacts sur les ménages.

La qualité des actifs entre les portefeuilles est hétérogène au quatrième trimestre 2019. Les données de l’ABE montrent que les expositions sur les ménages ont des ratios de NPL inférieurs (3,3%) aux expositions sur les entreprises (5,4%). Au niveau des sous-segments, les ratios de prêts non performants pour les PME et le crédit à la consommation sont plus élevés que pour les grandes entreprises et les prêts hypothécaires. Au niveau sectoriel, le ratio NPL le plus élevé vient de l’industrie de la construction et s’établit à 15%. Les secteurs plus directement touchés par l’épidémie de Covid-19, tels que l’hébergement et la restauration ont également un niveau relativement élevé de 9%. Enfin, le secteur des arts, des divertissements et des loisirs a un ratio de NPL d’environ 8%.3

Si peu d’impacts sont attendus en matière de volume d’affaire, les banques étant en première ligne pour soutenir l’économie dans la première transition de la crise sanitaire en crise financière, elles devront être vigilantes pour gérer efficacement la hausse attendue du coût du risque lié à la dégradation financière de leurs clients. Les premiers effets se sont déjà faits ressentir lors de la publication des premiers résultats du 1er trimestre 2020. En attestent un niveau de coût du risque bien plus élevé en comparaison à Q1 2019 ainsi que des montants de provisions élevés pour les banques européennes. Les banques devraient faire face à des volumes croissants de NPL, qui peuvent, selon l’ABE, atteindre des niveaux similaires à ceux enregistrés au lendemain de la crise de la dette souveraine. Une analyse de sensibilité basée sur le stress test de l’ABE 2018 suggère que les pertes liées au risque de crédit pourraient atteindre jusqu’à 3,8% des RWA4.

Dans ces circonstances, la gestion du risque de défaut et créances non performantes restera l’un des enjeux majeurs que les banques auront à gérer dans les prochains mois. Si les banques bénéficieront à court terme des mesures d’adoucissement du régulateur sur les aspects prudentiels et provisions, ce qui leur donne des marges de manœuvre complémentaires pour gérer leurs créances à risque, la gestion active leur stock de NPL reste une opportunité pour diminuer leur coût du risque et satisfaire aux exigences réglementaires en la matière.

 

Des mesures gouvernementales et prudentielles qui permettent d’adoucir les effets attendus de l’augmentation du risque de crédit

Dès les premières annonces de mécanismes de support gouvernementaux, les régulateurs Européens, en particulier la BCE, l’EBA et l’ESMA, ont publié des déclarations précisant les impacts prudentiels et normatifs pour les établissements bancaires.

L’enjeu de ces mesures est non seulement de préciser les modalités de traitement de ces mécanismes inédits au regard des engagements de crédit et des événements de défaut, mais également de donner de la souplesse aux établissements financiers en réduisant les exigences de fonds propres attendues, par exemple, en autorisant une consommation partielle des coussins contra-cycliques.

Des guidelines complémentaires ont ensuite été publiées au cours des mois de mars et d’avril afin de répondre aux interrogations de l’industrie bancaire, et dans l’objectif d’assurer un traitement cohérent des expositions concernées, et également, de limiter les effets procycliques dans les RWA et les provisions de crédit.

Des modifications déjà apportées au processus de gestion des crédits pour prendre en compte les effets de la crise du Covid-19.

Les établissements financiers doivent appliquer une gestion spécifique, et dans une certaine mesure compartimentée des crédits impactés par la crise du Covid-19, et plus spécifiquement dans le cadre de l’application des moratoires privés et publics et des diverses restructurations accordées durant cette première période.

Il s’agit en particulier de considérer la situation et les perspectives de rétablissement à moyen terme des emprunteurs lors de la mise en place de ces mesures et donc de différencier des supports financiers court terme visant à pallier des manques de liquidité ne remettant pas en cause de manière structurelle la rentabilité des entreprises, des restructurations répondant à des situations déjà risquées avant la crise.

Les banques ont donc rapidement mis en place des dispositifs opérationnels permettant de collecter les informations nécessaires et de déployer des traitements de segmentation spécifiques à ce contexte, donnant naissance de nouveaux compartiments de crédits « à risque » pouvant à moyen terme, réintégrer le segment des encours NPL. On peut notamment différencier les créances faisant l’objet de moratoires, mais pour lesquels un rétablissement est possible ou attendu, les créances avec moratoire, mais pour lesquelles un rétablissement est à l’inverse improbable, les créances défaillantes théoriquement mais mises en attente de par la situation actuelle, et enfin, les créances appartenant à des segments d’activité identifiés comme sensibles, mais pour le moment non affectées directement par la crise et pour lesquelles un suivi spécifique doit être mis en place.

Enfin, le contexte actuel limite également la capacité des établissements à dérouler les processus de recouvrement usuels, et donc certaines créances déjà défaillantes voient leur potentiel de récupération diminuer significativement ou du moins prendre un retard conséquent.

Des impacts attendus sur les stocks de NPL et les niveaux des transactions de portefeuilles de crédit

Les stocks de créances non performantes devraient s’accroître pour s’élever à des niveaux particulièrement significatifs. Dans ce contexte, la gestion active par les banques de leur stock de NPL est une opportunité pour gérer efficacement leur coût du risque.

A ce stade, il est néanmoins très difficile de prédire quelle sera l’ampleur du mouvement. Certains facteurs ne plaident pas en faveur de cessions, à tout le moins, à court terme :

  • Le maitre mot de la BCE est plutôt à la flexibilité dans le traitement en matière de NPL au regard de sa dernière publication du mois de mars 2020. La BCE permet en effet aux banques, de s’appuyer sur les garanties et moratoires mis en place par les autorités publiques pour gérer les difficultés économiques actuelles. Elle encourage vivement le traitement au cas par cas pour identifier les situations de débiteurs qui se sont détériorées en raison ou non de la crise du Covid-19 et prendre les mesures adéquates. Tandis qu’elle appelle également les superviseurs à faire preuve de flexibilité lors des discussions relatives à la mise en place de stratégies de réduction de NPL par les banques, aucun dispositif opérationnel n’est clairement imposé jusqu’à présent.
  • Dans une autre mesure, le coût de provisionnement des encours non performants pourrait inciter les banques à céder une parte de leurs NPL. Comme évoqué précédemment, les banques américaines et européennes les plus prudentes ont déjà enregistré des montants de provisions significatifs sur Q1 2020. Face à ce phénomène, certains doutes pourront néanmoins peser sur la correcte couverture des risques de crédit par les banques européennes comme en 2008. Cela aurait pour conséquence de retarder le lancement de cessions de portefeuilles de NPL, faute de provisionnement suffisant pour combler l’écart « bid/ask ».

Malgré ces incertitudes, nous pensons que le mouvement de ventes des NPL pourrait s’intensifier au cours du dernier trimestre alors que la plupart des cessions qui ont démarré en 2020 sont en suspens dans la mesure où banques et investisseurs s’emploient en priorité à gérer les retombées de la crise. En effet, dans l’optique d’assainir leur bilan, les banques se concentreront sur la réduction du stock de NPL existant pour ensuite se focaliser sur les nouveaux segments générés par la crise du Covid-19. On peut imaginer que les cessions précédemment interrompues seront relancées pour bénéficier de l’investissement pré-crise – ce qui semble impératif pour les transactions dont les volumes sont importants. Le profit généré permettrait ainsi aux banques cédantes de renforcer leur solidité financière tout en reconstituant des marges de manœuvre pour prêter aux secteurs prioritaires du plan de relance économique.

Les transactions seront vraisemblablement de plus petite taille, notamment quand les données nécessaires aux diligences de cessions sont aisément disponibles et nécessitent un temps de préparation rapide. Ces opérations permettraient un allègement progressif de la position des banques avant la fin de l’année au travers de transactions bilatérales ou de process de gré à gré visant des acheteurs stratégiques locaux, limitant la visibilité ainsi que le risque réputationnel.

Progressivement, nous pourrions entrevoir 2021 comme une année favorable aux cessions de portefeuilles de volume important mais également aux cessions de portefeuilles constitués de nouveaux segments qui n’ont jamais encore été vendus en France. Parmi ceux-ci, les stocks de créances avec impayés pour lesquelles le défaut n’est pas encore avéré pourraient faire l’objet d’un accroissement conséquent et probablement de cessions inédites en France. Dans cette optique, la vente de créances « Unlikely to Pay (UTP) », par exemple, pourrait correspondre à une mesure préventive que les banques suivraient pour réduire l’exposition à des positions dégradées par la crise du Covid-19.

Tandis que les investisseurs locaux et internationaux continuent de voir la France comme un des futurs foyers de transactions de NPL, les attentes en matière de recouvrement stimuleront l’appétit des acquéreurs et seront inévitablement les premiers paramètres pris en compte dans les valorisations. L’intégrité et la transparence des données ainsi que l’accès à l’information demeurent de véritables priorités pour le bon déroulement des transactions de NPL d’autant que l’identification des différents segments de risque pré et post Covid-19 deviendra une urgence. Dans un marché particulièrement tendu, l’accès et le coût de financement limitent la compétitivité mais pourraient également encourager le développement de partenariats entre les fonds d’investissement spécialisés dans les NPL et les stratégiques locaux notamment les sociétés de recouvrement. De manière objective, une chose est sûre : tant que les banques auront la capacité de céder des NPL, les investisseurs mettront le pied à l’étrier pour prendre part à ces programmes de désendettement quelle que soit leur ampleur.

Une dernière question concerne la réaction du régulateur face à l’accroissement prévu du stock de NPL. L’encouragement à la cession de NPL pourrait faire partie des directives de ce dernier.

A quoi s’attendre à court et moyen termes
Nous sommes convaincus que les banques resteront les acteurs de premier plan pour financer la relance de notre économie comme elles ont commencé à la faire dans le cadre des plans d’urgence mis en œuvre ces derniers mois. Elles devront également faire face à une augmentation du coût du risque du fait de la crise économique à venir, impact qui s’est déjà matérialisé dans les comptes du 1er trimestre 2020. Une gestion active de leurs portefeuilles de prêts non performants reste une opportunité pour y faire face. A court terme, les mesures prises (prêts garantis, gestion au cas par cas) pour gérer avec plus de flexibilité la situation des emprunteurs ainsi que des fondamentaux du marché peu favorables (incertitude de la couverture du risque de crédit par rapport à la fourchette bid-ask) ne devraient pas entrainer une augmentation significative des transactions. A moyen terme, nous sommes convaincus que le marché devrait reprendre, sans doute au début avec des transactions de plus petite taille mais à terme sur des tailles plus élevées et des nouvelles catégories de crédit. Ce type de transactions redonnera les marges de manœuvre nécessaires aux banques pour continuer à financer l’économie tout en respectant les exigences réglementaires qui ne seront sans doute pas assouplies indéfiniment.

Site de l’Agefi

1 Analyse Deloitte sur la base des données de communication financière
2 Analyse Deloitte sur la base des données de communication financière
3 EBA données de rapport de surveillance
4 EBA évaluation préliminaire de l’impact de Covid-19 sur le secteur bancaire européen, mai 2020