Article co-écrit avec Etienne Genot, Associé Deloitte Société d’Avocats, Guillaume Parmentier, Manager Deloitte Société d’Avocats, Shaden Itani, Manager Risk Advisory et Dylan Bergounhe, Consultant Risk Advisory.

La crise sanitaire actuelle liée au Covid-19, inédite par son ampleur, bouleverse l’ensemble des organisations dans la conduite de leurs activités et peut aboutir au décalage de certains projets avec des arbitrages en fonction des priorités. Eu égard à leurs échéances et à leur caractère règlementaire, certains projets requièrent toutefois le maintien d’une attention particulière. Tel est notamment le cas des projets d’application de la Directive (UE) 2018/822 de coopération administrative dite « DAC 6 » au sein des organisations assujetties.

Un environnement règlementaire contraignant et des échéances maintenues

La directive DAC 6, entrée en vigueur au sein de l’UE le 25 juin 2018, vise à renforcer la transparence et la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales en astreignant les intermédiaires ou les contribuables à une obligation de déclaration à l’Administration des dispositifs transfrontières à caractère potentiellement agressif. Cette directive a fait l’objet d’une transposition en France par l’ordonnance 2019-1068 du 21 octobre 2019, qui a enrichi le code général des impôts (CGI) des articles 1649 AD à 1649 AH et 1749 C ter[1]. Un premier Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFiP) relatif au champ et aux modalités d’application a été publié en consultation le 9 mars 2020[2], tandis que les informations contenues dans la déclaration d’un dispositif transfrontière ont été précisées par le décret n° 2020-270 du 17 mars 2020.

A l’environnement règlementaire actif s’ajoute un calendrier serré. A ce stade, faute de report par la Commission Européenne, les échéances prévues initialement sont maintenues. Par conséquent, les dispositions de l’ordonnance du 21 octobre 2019 susmentionnée entreront en vigueur à compter du 1er juillet 2020. Il s’agira pour les intermédiaires ou les contribuables concernés de déclarer tout dispositif transfrontière à caractère potentiellement agressif à l’Administration dans un délai de trente jours à compter de la mise à disposition en vue d’une mise en œuvre. Par exception, les dispositifs transfrontières dont la première étape a été mise en œuvre entre le 25 juin 2018 et le 1er juillet 2020 devront être déclarés le 31 août 2020 au plus tard.

Dès lors, les assujettis doivent poursuivre les chantiers de mise en conformités déjà amorcés en s’organisant pour composer avec des difficultés opérationnelles liées à l’actualité.

Des enjeux opérationnels à traiter

L’intégration et la déclinaison opérationnelles de ces nouvelles obligations se heurtent au contexte actuel et requièrent une vigilance particulière, concernant notamment les six volets suivants.

  1. La veille règlementaire

La capacité des responsables juridiques et fiscaux à appréhender techniquement ces règles nouvelles et en suivre les développements est essentielle. Les contraintes opérationnelles liées aux mesures de confinement devraient avoir un impact limité sur ce point, la veille règlementaire et l’analyse des textes pouvant être assurées à l’aide d’outils informatiques basiques. La prochaine étape particulièrement attendue en la matière concernera la publication du 2e BOFiP relatif aux marqueurs.

  1. L’identification et la déclaration des dispositifs « déclarables »

D’une part, les études d’impacts et l’analyse de l’ensemble des produits et services proposés par l’assujetti par rapport aux marqueurs de DAC 6 peuvent se poursuivre « en chambre ». Il s’agira, par exemple, de formaliser une cartographie des dispositifs susceptibles d’entrer dans le champ d’application de l’obligation de déclaration. Cette cartographie se basera notamment sur des entretiens conduits avec les différents métiers, à distance en période de confinement. Par ailleurs, elle permettra d’identifier les zones de risques et les éléments devant figurer dans la déclaration. En outre, il s’agira à ce stade de procéder à une analyse rétrospective des dispositifs afin d’être en mesure de faire la déclaration requise d’ici le 31 août 2020.

D’autre part, la préparation des premières déclarations peut être initiée, pourvu qu’un accès sécurisé aux données clients soit assuré à distance. En fonction de la maturité des projets de mise en conformité, ces premières déclarations pourront être effectuées manuellement (ce sera le cas en France).

  1. Les procédures et processus

La rédaction des procédures relatives à l’identification et à la déclaration des dispositifs « déclarables » peut également être initiée ou poursuivie dans un contexte de confinement. A ce stade, il sera intéressant d’étudier les potentielles synergies avec l’Echange Automatique d’Informations (EAI), concernant par exemple les informations à déclarer ou l’identification des marqueurs de catégorie D prévus à l’article 1649 AH du CGI. Ces éléments permettront ensuite de modéliser les processus afférents, tant de déclaration à l’Administration que de notification aux intermédiaires et contribuables concernés.

  1. La communication et la formation

Concernant la notification aux intermédiaires et contribuables concernés, les modalités et le contenu des notifications peuvent être définis, de même que les « clauses-types DAC 6 » à intégrer dans la documentation contractuelle.

Concernant la formation des collaborateurs, il est à ce stade possible d’en valider les modalités (périmètre, niveau d’expertise etc.), d’en élaborer le support et, pour les organisations les plus avancées dans ces projets, de les dispenser à distance via des modules e-learning par exemple.

  1. Les outils et développements informatiques

En fonction des volumes et de la maturité de l’organisation concernée, le recours à un outil d’aide à la déclaration peut s’avérer indispensable. Si la situation actuelle ne se prête pas à des développements informatiques importants, des réflexions peuvent être engagées concernant l’approche à adopter (mise en place d’une solution dédiée, enrichissement d’une solution existante, recours à un prestataire externe etc.) et, selon l’avancée de ces réflexions, les « expressions de besoins » formalisées.

  1. La gouvernance et les contrôles

Si leur mise en œuvre ne pourra être assurée que post confinement, la formalisation des contrôles de 1er et 2nd niveau peut être initiée dès à présent, en capitalisant là aussi, dans la mesure du possible, sur les plans de contrôle existants relatifs à l’EAI notamment. Dans le même temps, il s’agira de définir les rôles et responsabilités, la gouvernance et les processus d’escalade associés.

Enfin, eu égard au contexte dans lequel ces projets de mise en conformité sont conduits, deux éléments nous semblent importants. D’une part, même si une certaine indulgence de l’Administration concernant les premières déclarations pourrait raisonnablement être attendue, nous ne pouvons que rappeler l’importance pour les assujettis d’être en ordre de marche dès le 1er juillet prochain en l’absence de report des délais. D’autre part, afin de s’assurer de la conformité de leur dispositif DAC 6 et d’en identifier les éventuelles lacunes, il sera utile, pour les organisations concernées, d’envisager post confinement, de réaliser une revue de ce dernier afin d’en vérifier la cohérence d’ensemble et le bon fonctionnement.

[1] Pour plus d’informations, voir https://taj-strategie.fr/transposition-de-directive-dac-6-france
[2] Pour plus d’informations, voir https://taj-strategie.fr/ordonnance-dac6-premiers-commentaires-de-ladministration-consultation-publique/