Denis Duverne, président du conseil d’administration d’AXA, livre son regard sur les relations entre le board et le management et revient sur les problèmes d’application de la réforme de l’audit. Découvrez la seconde partie de notre entretien.

Retrouvez aussi la première partie de notre entretien avec Denis Duverne sur le thème de la confiance dans les métiers du groupe d’assurance.

Quel est votre regard sur la réforme de l’audit, et ses implications pour les administrateurs de groupes comme AXA ?

Je suis assez critique sur cette réforme. Elle partait d’une bonne idée consistant à harmoniser le marché européen de l’audit, mais elle aboutit au résultat inverse. Elle a manqué son objectif.

Si l’application du texte européen avait été uniforme dans l’ensemble des pays européens, la réforme aurait pu fonctionner, mais ce n’est pas le cas. La flexibilité de modification accordée aux différents pays dans l’application est trop importante.

L’un des principaux points négatifs concerne les prestations hors-audit. L’interprétation française du texte sur ce point est nettement plus rigoureuse que celles des autres pays européens. En Allemagne par exemple, les auditeurs d’AXA sont autorisés à réaliser des travaux en matière fiscale interdits en France.

La complexité de mise en œuvre de la réforme est extrême pour nous, ce qui expose les administrateurs, et notamment les membres du comité d’audit, à des sanctions déraisonnables.

De plus, la réforme est contradictoire avec la réglementation française. La loi sur les sociétés de 1965 prévoit en effet que la responsabilité des administrateurs soit la même, qu’ils soient présents au sein d’un comité ou non. Or, la réforme de l’audit donne des responsabilités différentes aux membres du comité d’audit. Pour éviter d’être en infraction par rapport à l’un de ces deux textes, nous avons décidé que le board d’AXA approuve tous les travaux du comité d’audit.

La question des échéances des mandats pose aussi problème. Nous allons avoir l’obligation de changer de commissaires aux comptes dans certains pays à des dates différentes, ce qui va rendre la coordination beaucoup plus délicate, plus coûteuse et potentiellement moins efficace qu’elle ne l’est aujourd’hui avec deux commissaires aux comptes entre lesquels sont répartis les mandats d’auditeur dans le monde entier. De plus, les personnes effectuant des missions autres que le pur audit ne pourront pas postuler aux missions d’audit quand nous devrons changer nos commissaires aux comptes. La situation à l’horizon 2022-2024 menace d’être inextricable.

Vous avez occupé chez AXA des fonctions opérationnelles, notamment en tant que directeur général délégué depuis 2010, mais aussi des fonctions d’administrateur. Vous êtes aujourd’hui président non-exécutif du conseil d’administration. Quels sont les ingrédients pour que la relation entre le board et le management soit fructueuse ?

Il est essentiel que le conseil d’administration et le management comprennent quel est le rôle de chacun. Pour le board, il doit être clair que la proposition et l’exécution de la stratégie relèvent du management. Pour ce dernier, il doit être clair que le rôle du board est de l’aider à définir la stratégie et de le conseiller sur les orientations à long terme.

Cela requiert une confiance réciproque, mais aussi une certaine diversité dans la composition du conseil d’administration. Cette diversité recouvre bien sûr la parité hommes-femmes, mais aussi la nationalité, ou encore les types d’expérience et de profils.

 

Le but est de sélectionner des personnes dotées des compétences requises, ce qui pourrait ne plus être le cas avec une affirmative action. Disposer d’un pipeline de talents ne se décrète pas.

 

Le board se doit aussi de faire preuve d’une certaine générosité. Le rôle des membres du conseil n’est pas de briller, mais de contribuer au succès de l’entreprise en apportant leur expérience, leurs capacités intellectuelles et leurs connaissances dans l’intérêt de l’organisation.

Le rôle de chacun est défini dans les statuts de la société et dans son règlement intérieur. Des lignes directrices sont fixées dans le code de gouvernance, mais le fonctionnement naît dans la pratique quotidienne.

En ce qui concerne la mixité au niveau des conseils d’administration, nous sommes au point d’atteindre les taux fixés par la loi Copé-Zimmermann. Cependant, au niveau des comités exécutif, le taux de féminisation est encore très faible. Selon vous, faudrait-il statuer pour rééquilibrer les choses ?

L’idée de fixer un quota au niveau des conseils d’administration était bonne. Ces quotas étaient tout à fait atteignables ; AXA s’y est d’ailleurs conformée. Concernant le comité de direction, il me semble souhaitable de fixer des objectifs, mais je pense qu’il serait déraisonnable d’imposer des quotas. Cela pourrait conduire à un résultat inverse à l’effet recherché. En effet, le but est de sélectionner des personnes dotées des compétences requises, ce qui pourrait ne plus être le cas avec une affirmative action. Disposer d’un pipeline de talents ne se décrète pas.

Je tiens à souligner que fixer des objectifs peut déboucher sur des résultats probants. Chez AXA, les femmes représentaient 9% des 150 group senior executives en 2009. En 2015, la proportion est montée à 25%. Cette progression a été atteinte par des mesures concrètes, comme l’objectif de promouvoir autant de femmes que d’hommes.

 

Le rôle du conseil est de challenger le management et de lui apporter ses idées.

 

Selon vous, quel degré d’implication le board doit-il avoir sur la question de l’orientation stratégique ?

Il doit être élevé. Le rôle du conseil est de challenger le management et de lui apporter ses idées. AXA organise chaque année deux journées de séminaire stratégique. Ces deux jours sont entièrement consacrés à faire un point complet sur les sujets que nous souhaitons approfondir. L’implication du board est forte, même si c’est au management que revient in fine la proposition et l’exécution de la stratégie.

Quels moyens les administrateurs peuvent-ils se donner pour acquérir une expertise technique suffisante pour assurer leur rôle ?

Chez AXA, cela passe par plusieurs axes.

D’abord, un programme d’induction pour nos administrateurs au moment de leur prise de fonction, afin qu’ils disposent de toutes les bases sur les métiers, l’organisation, la stratégie, le positionnement géographique, le positionnement produit, les clients, ou encore les aspects financiers et réglementaires.

Ensuite, AXA dispense une formation continue complétée notamment de deux demi- journées annuelles  pour les membres du board.

Il faut voir le conseil comme un collectif. Il ne serait pas raisonnable d’exiger de chacun le même degré de connaissance dans tous les domaines. C’est d’autant plus vrai dans une société comme la nôtre, avec une activité fortement réglementée. Nous sommes assujettis à des exigences réglementaires d’une très grande complexité technique et financière.

La directive Solvabilité 2 a ajouté de nombreuses obligations aux membres du conseil d’administration, mais nous ne pouvons avoir qu’un nombre limité de spécialistes de ces sujets au sein du conseil.

La moitié des 16 membres du conseil d’AXA attestent d’une expertise approfondie sur les questions financières. D’autres membres sont présents au sein du board en raison de leurs compétences poussées dans les domaines du marketing, de l’informatique, du big data ou encore leur connaissance d’une région particulière du monde. Notre ambition est de disposer d’un mix de compétences équilibré. Le collectif du board permet d’atteindre cet équilibre, chaque membre ayant un prisme différent.

Chez AXA, quelle est la fréquence des échanges entre la direction et le conseil d’administration ?

Nous organisons en moyenne huit conseils par an, au cours desquels la stratégie est toujours un sujet central.

Nous invitons par ailleurs les membres du conseil à rencontrer régulièrement les membres de la direction, que ce soit le directeur général, mais aussi d’autres membres du comité de direction sur des sujets spécifiques.

Avec 7 administratrices pour 9 administrateurs, et des membres de nationalité étrangères (Américains, Suisses, Allemands…), le conseil d’administration d’AXA affiche une grande diversité.

Cette diversité est fortement liée à l’activité d’AXA. Nous sommes présents dans 64 pays. Notre activité en France ne représente que 23% du total, et nous employons 170 000 collaborateurs dans le monde. Un board tourné vers l’international est indispensable pour comprendre l’ensemble de nos marchés. En ce qui concerne la mixité, nous sommes aujourd’hui à 45% de femmes, au-delà des 40% fixés par la loi Copé-Zimmermann.

Outre le comité d’audit et le comité de rémunération et de gouvernance, AXA a-t-elle mis en place des comités spécialisés dans certains domaines spécifiques ?

Nous avons également mis en place un comité financier, proche de ce qu’on appelle dans d’autres entreprises un comité des risques.