Longtemps les politiques de développement durable dans l’hôtellerie n’ont été perçues des clients que par les panonceaux demandant de réutiliser les serviettes pendant la durée du séjour ! Quelques actions ont ensuite progressivement été mises en place : indications de plats avec ingrédients bio et/ou locaux sur les menus, affichettes présentant les labels obtenus ou les démarches engagées derrière le desk de l’accueil… Mais au-delà de ces initiatives, où en est le secteur de l’hôtellerie dans son engagement en faveur du développement durable ? A quels freins se heurtent encore les professionnels du secteur et quelles sont les bonnes pratiques observées aujourd’hui ?

Une hôtellerie toujours plus responsable

La profession est désormais largement convaincue que la prise en compte du développement durable dans la gestion quotidienne des hôtels et restaurants est une opportunité de développement. C’est d’abord le moyen de réaliser des économies, notamment sur les postes eau et énergie. Mais c’est aussi la possibilité de renforcer l’attractivité de la profession : on se rappelle de l’approche développée par Novotel Suites autour de la « symétrie des attentions »[1] et largement reprise depuis dans divers univers professionnels.

Un sujet longtemps passé sous silence commence à émerger, celui du gaspillage alimentaire. La FAO indique que près de 33% de la nourriture produite dans le monde pour la consommation humaine – environ 1,3 milliards de tonnes – est perdue ou gaspillée chaque année. Des initiatives sont prises par certains hôtels pour réduire ce gaspillage. Le Sofitel So de Bangkok par exemple a mis en œuvre un programme visant à connaître précisément la nature et le poids des déchets alimentaires puis tester diverses initiatives pour préserver la nourriture, réduire les coûts, et améliorer les pratiques courantes. « Très peu de projets similaires ont été mis en œuvre jusqu’à présent dans l’industrie hôtelière. Dans les cinq à dix ans à venir, les hôtels des plus grandes chaînes vont comprendre le véritable enjeu du gaspillage alimentaire et seront obligés de le réduire coûte que coûte « , prédit Benjamin Lephilibert[2] de Light blue Environmental Consulting.

La labélisation se développe également. Des labels comme la Clé verte ou l’Ecolabel européen sont les plus reconnus en Europe, devant certains labels internationaux comme Green Globe ou Earth Check. Les systèmes de management environnemental de type ISO 14 001 ou EMAS permettent d’engager une démarche de progrès continu. De plus en plus de sites de réservation en ligne référencent les hébergements touristiques verts. Le durable devient ainsi un critère de différenciation et un atout marketing. Dès 2011 une étude réalisé pour Accor[3] pointait que 80 % des consommateurs attendaient de l’hôtellerie un engagement en matière de développement durable.

Le poids des représentations : un frein qui persiste

Pour autant, au-delà des actions les plus immédiates, l’hôtellerie-restauration a encore des difficultés à avoir des politiques structurées en matière de développement durable. Apparemment rien ne manque : ni la conviction des dirigeants, ni les attentes des clients, ni les outils et méthodes pour avancer. Le frein majeur tient sans doute au fait que le développement durable reste associé dans les mentalités à des contraintes et que l’hôtellerie est justement un secteur d’activité qui repose sur une promesse de bien-être et de coupure avec les contraintes du quotidien. Comme le disait en conclusion l’étude citée : « les clients de l’hôtellerie sont encore aux prises avec leurs contradictions. […] La tentation de l’abondance et de l’insouciance est forte à l’hôtel. Aujourd’hui, le rôle des hôteliers consiste à trouver les moyens d’aller plus loin, pour construire une hôtellerie toujours plus responsable, sans reporter la contrainte sur le client, et en lui donnant le choix de s’impliquer ou non ». Plus encore que dans beaucoup d’autres domaines économiques, la question des représentations est donc cruciale pour réussir à mener une stratégie ambitieuse en matière de durabilité.

Les représentations ne se travaillent pas prioritairement avec les outils classiques que sont les chartes et les labels. Non qu’il faille renoncer aux labels, mais ils ne peuvent, notamment dans l’hôtellerie de luxe, servir de fil conducteur à l’action. Comment dès lors mener une démarche collective exemplaire ?

Le Manifeste de Relais & Châteaux

Relais & Châteaux, qui rassemble 520 artisans hôteliers-restaurateurs à travers le monde, a fait le choix d’un Manifeste ambitieux et d’une vingtaine d’engagements dont la concrétisation se fait par l’émulation collective et le partage de bonnes pratiques.

Présenté à l’UNESCO en novembre 2014, le Manifeste a pour finalité, selon les mots de son initiateur, le chef de Cancale Olivier Roellinger, de « préserver et transmettre la singularité des cuisines du monde ». C’est pour lui clairement un projet de société. Qui peut nier en effet que la cuisine, au-delà de l’engouement médiatique actuel, est au croisement d’enjeux majeurs : la santé publique, les conditions de travail, la lutte contre l’appauvrissement culturel, la préservation de l’environnement, la lutte contre le gaspillage ? « Notre humanité s’exprime et se ressource toujours dans le partage du beau et du bon. » affirme le Manifeste. Les 20 engagements de Relais & Châteaux entendent concrétiser l’ambition sans l’affadir. Olivier Roellinger affirmait ainsi au Figaro[4] : « Jusqu’ici, nous étions un catalogue de bonnes maisons, et la seule chose que nous racontions chaque année était le nombre de nouveaux hôtels, dont certains disposaient de chambres exceptionnelles ou de tables excellentes. Mais rien de plus. Ne pouvions-nous donc jouer un rôle citoyen au niveau international, en expliquant ce que chacune de nos maisons faisait au quotidien ? »

Il y a bien sûr parmi les engagements, la prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux mais il s’agit d’aller plus loin :

  • en participant par exemple au maintien de la biodiversité dans une forme de « conservatoire » des espèces menacées, à l’image de ce qu’ont fait par exemple le père et le fils Bras avec la race bovine Aubrac ou les légumes oubliés des Andes chez Gaston Acurio….;
  • en développant des relations étroites avec les producteurs locaux pour qu’ils puissent vivre de leur production sans sacrifier la qualité ; en proposant des formes d’accueil (d’hospitalité) loin des pratiques standardisée du luxe international ;
  • en s’associant aux acteurs locaux pour mener des projets de développement : en Afrique du Sud, par exemple, les maisons sont impliquées avec les populations et les pouvoirs publics dans les villages ; au Brésil, la plupart des maisons s’engagent dans le développement de leur territoire d’implantation en développant l’agriculture traditionnelle et l’artisanat local ; en Allemagne, tous les chefs vont dans les maternelles ; en France, beaucoup de chefs proposent des interventions dans des écoles et créent des recettes pour faire découvrir les légumes et les fruits aux enfants, en partenariat avec les associations de médecins…

Aujourd’hui, sur les 500 maisons, 75 environ sont considérées comme « pilotes » en raison des engagements déjà mis en œuvre.

Il est également nécessaire de valoriser les « bonnes pratiques », de les faire connaitre et partager entre maisons. Une plateforme, Moving forward, a été conçue pour favoriser ces échanges. Des formations impliquant l’Université de Tours et l’Institut Paul Bocuse à Écully sont mises en place et devraient déboucher sur un Diplôme Universitaire reconnu par l’État. Plusieurs axes de travail ont été choisis pour être déployés de manière plus volontariste et favoriser ainsi la mise en mouvement de tous : ils concernent en priorité le partage d’informations techniques pour permettre aux Maisons, en fonction de leur maturité sur le sujet, de se perfectionner dans l’analyse de leurs émissions de GES, de s’engager pour la protection d’espèces végétales et animales afin de préserver la biodiversité des différentes zones géographiques, et de renforcer, par un vrai accompagnement au niveau mondial, l’apprentissage et l’emploi des jeunes pour revaloriser les métiers manuels et de service.

Cette logique de mobilisation interne autour de bonnes pratiques partagées commence à s’imposer. Accor vient par exemple de mettre en place un nouvel intranet accessible aussi sur smartphone pour toucher très largement un personnel qui n’a pas nécessairement accès à un ordinateur sur son lieu de travail. La chaine propose également un réseau social d’entreprise offrant la possibilité de créer des communautés para-professionnelles et d’échanger des bonnes pratiques. Cet outil sera-t-il au service de la responsabilité sociale de la marque ? Trop tôt encore pour le dire mais l’initiative est évidemment à suivre.

L’hospitalité et la cuisine ont toujours été des composantes essentielles des civilisations : l’hôtellerie et la restauration contribuent à les faire vivre au quotidien et le développement durable doit permettre de les réinscrire dans une perspective patrimoniale de longue durée.

 

[1] La qualité de la relation entre l’entreprise et ses clients est égale à la qualité de la relation entre l’entreprise et ses collaborateurs. On reproduit d’autant mieux un comportement si on l’a vécu soi-même ». Jean-Jacques Gressier, PDG de l’Académie du Service

[2] In Sofitel So Bangkok : réduction des déchets alimentaires, 26 décembre 2014

[3] Etude Ifop pour Accor réalisée en 2011 auprès de 6 973 clients de l’hôtellerie représentatifs de la clientèle hôtelière de 6 pays, tous types d’hôtellerie fréquentée

[4] Le Figaro, 11 juillet 2015