Article co-écrit avec Alexis Orset, consultant FSI & Fintech

En matière de digital, les assureurs font face à un challenge aussi complexe qu’incontournable : la donnée. Pour en tirer tout le potentiel et répondre aux enjeux d’aujourd’hui et de demain, il est nécessaire de définir une stratégie permettant de collecter, gérer et utiliser les données en incluant l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur de l’assurance : de la création de produit, jusqu’à la gestion des sinistres, en passant par le réseau de distribution. Cela passe par une stratégie globale, déclinée opérationnellement, et qui prend en compte un arbitrage entre attentes des clients et gains à court et long terme.

Quelle réalité aujourd’hui ?

Si l’on interroge aujourd’hui les compagnies d’assurance sur la manière dont elles organisent la collecte, la gestion, et l’utilisation des données, c’est généralement la même histoire qui est racontée :

  • La souscription est le point clé pour collecter les données. Ces données sont collectées au format papier en agence principalement ou par courrier. Ces pièces sont numérisées. Les données sont ressaisies, puis vérifiées. Trois jours après la souscription, pour les meilleurs, le client reçoit la confirmation de sa souscription. Il s’agit d’un processus long, fastidieux, sans possibilité de suivi pour le client. Cette expérience est en décalage avec les standards définis par les géants du numérique. S’il est possible de commander un produit en quelques clics pourquoi cela devrait-il en être différent pour l’assurance ?
  • Durant la vie du contrat, les données ne sont pas enrichies ou très peu. La rencontre originelle étant au format papier, les clients sont naturellement enclins à passer les actes de gestion en agence ou par téléphone et plus encore s’il s’agit d’un sinistre.

Dans ce contexte, élaborer une vraie stratégie data semble incontournable. Et ce en grande partie parce que la non structuration des données et le manque de données empêchent de développer des projets d’automatisation. Or, l’automatisation de tâches simples (schéma déterministe) repose sur de la donnée structurée en entrée, et l’automatisation de tâches complexes (schéma probabiliste) impose d’avoir collecté une grande quantité de données pour fonctionner de manière optimale.

Réaliser un diagnostic

La réalisation d’un diagnostic de l’existant est un préalable incontournable à la définition d’une stratégie. Pourquoi ? Parce qu’une stratégie autour de la donnée n’a de sens que si elle est basée sur les problématiques et l’état d’avancement d’une compagnie d’assurance spécifique. Pour cela, il est nécessaire de réaliser un état des lieux général :

  • Quels sont mes points de collecte de données ?
  • Quelle est la répartition entre ces points (agences propres, réseaux de distribution partenaire, téléphone, site internet, applications etc.)
  • Comment ces données sont-elles stockées ? (nombre de bases de données ?)
  • Comment ces données sont-elles vérifiées ? (manuellement / automatiquement)
  • Comment sont-elles enrichies et mises à jour ? (KYC, collecte de données externes, etc.)
  • Dans quelle mesure ces données sont-elles exploitables ? (digitalisées / non digitalisées ; structurées / non structurées ; accessibles ou non ?)
  • Comment sont-elles utilisées ? (conception de produit, recommandations, etc.)
  • Dans quelle mesure cette gestion des données est-elle compatible avec la nouvelle réglementation sur les données (GDPR) ?
  • Dans quelle mesure cette gestion des données permet de piloter l’activité et de prendre des décisions éclairées ?
  • Dans quelle mesure cette gestion des données est-elle scalable ?
  • Etc.

La réalisation de ce diagnostic permettra d’identifier les priorités de l’entreprise et dedéfinir une trajectoire réaliste basée sur les attentes des clients, la faisabilité technologique des projets, et la performance opérationnelle et économique pour l’entreprise.

Technologies matures et technologies à fort potentiel : avancer en parallèle

Pour mener à bien leur stratégie data, les assureurs peuvent conjuguer deux approches :

  1. Parier sur les technologies matures pour répondre aux besoins d’aujourd’hui et bâtir le socle des projets à venir

Les technologies matures permettent de mener des projets au ROI fort sur le court terme : portail sécurisé de selfcare des actes de gestion (souscription, versement, arbitrage, etc.), signature électronique en ligne et en agence, dématérialisation de la transmission des documents, automatisation des processus de gestion, etc.

Ces projets s’articulent entre front-office et back-office. Côté front-office, les technologies matures permettent de développer le digital en agence et en ligne afin de collecter une donnée structurée et vérifiable en temps réel. Côté back-office, cette donnée collectée en front au format digital permet d’automatiser une grande partie des tâches à faible valeur ajoutée (là où la donnée est aujourd’hui ressaisie manuellement – principal frein à l’automatisation).

Cette déclinaison opérationnelle a le mérite d’allier vraie valeur ajoutée pour le client, faisabilité technologique, et efficacité opérationnelle pour l’entreprise. Par ailleurs, ces projets sont les préalables indispensables à l’utilisation de technologies « hypes » – il n’est pas réaliste de déployer une stratégie IA quand la signature électronique en ligne et en agence n’est pas proposée – et permettent de préparer, sur une base saine, des projets plus ambitieux autour de la donnée.

  1. Avancer en parallèle sur les technologies à fort potentiel pour dépasser le stade de l’expérimentation et conduire à une mise en production

Se concentrer sur les projets cités plus haut permet de répondre aux attentes fortes et immédiates des clients. Il est cependant nécessaire en parallèle d’anticiper les tendances à venir, qui vont vers plus de personnalisation et d’instantanéité.

Pour cela, les assureurs peuvent donner leur chance aux technologies à fort potentiel, sur des cas d’usage alliant problématique « cœur business » et périmètre réaliste. Ces projets peuvent ainsi dépasser le stade de l’expérimentation et conduire à une mise en production tout en générant un ROI fort.

Exemple de cas d’usage pertinent : la détection des besoins client dans les emails d’une ligne de produit, afin de proposer des réponses personnalisées. Ce cas d’usage s’appuie sur deux branches de l’IA – la NLP (Natural Language Processing), et la NLG (Natural Language Generation) – ayant atteint un niveau de maturité suffisant pour dépasser le POC et être déployées en production. Ce cas d’usage porte ainsi sur une problématique cœur business (la gestion de la relation client), permet de monter en compétence sur deux technologies cognitives à fort potentiel (NLP et NLG), est scalable (peut être étendu progressivement à l’ensemble des lignes métier) et permet d’assurer un ROI fort en automatisant la reconnaissance du besoin, la recherche d’informations nécessaires à la réponse, et des propositions de réponse personnalisées.

Savoir gérer la donnée est devenu un enjeu clé aujourd’hui pour les assureurs, du fait de la grande production de données (liées aux objets connectées, aux capteurs et à l’utilisation des canaux digitaux), de l’arrivée de nouveaux entrants (start-up et géants du Web), de l’émergence de nouveaux besoins (plus de personnalisation et d’instantanéité), et de nouveaux standards (excellence de la relation client, accessibilité et disponibilité). Développer une stratégie autour de la donnée devient donc un impératif pour les assureurs qui souhaitent rester pertinents face à l’évolution des besoins et des standards, et compétitifs face à une nouvelle concurrence qui maîtrise davantage cette ressource. L’émergence d’une compagnie d’assurance user-centric ne passera que par une gestion data-centric.

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