Article co-écrit avec Jérémy Stevance, Manager Blockchain & Web3 et Marvin Calvaire, Analyste Blockchain & Web3

Avec la centaine de banques centrales qui étudient des projets de MNBC (monnaie numérique de banque centrale) plus ou moins avancés (ex: yuan numérique en Chine ou e-yuan), la Banque Centrale Européenne (BCE) a réaffirmé sa volonté qu’un euro numérique voie le jour à horizon 2026 ou 2027.

« Nous espérons un lancement en 2026 ou 2027 » (Christine Lagarde, BCE) 

En Europe, le projet s’est amorcé en octobre 2021, avec une première phase d’investigation consistant à établir les principes fondateurs d’une potentielle MNBC européenne.

Cet article a pour objectifs de définir l’euro numérique, de démystifier sa valeur ajoutée par rapport à l’euro actuel et de mettre en évidence les cas d’usage potentiels présentés par la BCE lors de son dernier rapport de décembre 2022.

 

1. Qu’est-ce que l’euro numérique ?

En comparaison aux actifs numériques, l’euro numérique est défini comme ayant une : « valeur monétaire et qui est stockée sous une forme électronique » [1].

« Le but de nos travaux est de veiller à ce que, à l’ère numérique, les ménages et les entreprises aient toujours accès à la forme de monnaie la plus sûre » (Christine Lagarde, BCE)

Bien qu’ayant des caractéristiques comparables, c’est dans la gouvernance qu’une distinction apparaît entre les deux types d’actifs ; alors que les cryptomonnaies sont pour la majorité gouvernées de manière décentralisée, l’euro numérique serait gouverné et régulé de manière centralisée, par une entité publique – la BCE.

Dans sa définition la plus formelle, l’euro numérique se présente comme « un moyen de paiement équivalent aux pièces et billets (ou monnaie fiduciaire), mais sous forme dématérialisée » [2].

« L’apport d’un Euro Numérique serait tout d’abord d’accompagner la digitalisation de l’économie » (Frédéric Faure, Banque de France)

Cette devise numérique ne viendrait notamment pas remplacer les espèces mais plutôt constituer une solution de paiement supplémentaire, facilitant entre autres les paiements en ligne, et favorisant l’accessibilité et l’inclusion. Actuellement, plus de 90% de la monnaie en circulation représente ce qu’on appelle de la monnaie scripturale, qui est immatérielle et échangée par le biais des banques commerciales et acteurs du paiement (Visa, Mastercard, etc.). La MNBC viendrait ancrer la présence d’une institution publique dans l’ère numérique, promettant un usage simple et digne de confiance.

 

2. Monnaie Numérique de Banque Centrale – Un projet d’envergure Européenne

Différents facteurs ont motivé le développement de l’e-euro, parmi lesquels le recul de l’usage des espèces et l’essor des cryptomonnaies,  la volonté d’une meilleure accessibilité et inclusion dans un environnement digital sain. En effet, la complexification des nouvelles technologies dans l’ère du digital a pu créer une barrière à l’adoption globale du grand public. Par ailleurs, l’aspect green des infrastructures constitue également un point central pour le grand public, comme au sein de cet écosystème.

« Le green finance et la responsabilité sociétale et environnementale (RSE) sont de manière générale, des enjeux très importants pour la Banque de France, qui souhaite se positionner en tant que modèle dans l’Eurosystème sur ces sujets » (Frédéric Faure, Banque de France)

Dans sa conception, l’accent est mis sur un euro numérique qui soit instantané, facile d’utilisation, et sécurisé – attributs régisseurs de son adoption large. Un compromis reste à trouver entre protection de la vie privée et vérification d’identité. La BCE évoque ainsi des transactions plus rapides, notamment à l’échelle internationale, et promet une tolérance d’anonymat pour les transactions inférieures à 70 euros.

A cet égard, les principales problématiques de design et mise en distribution ont pu être évoquées lors de la phase d’investigation, afin de répondre aux ambitions du projet.

« La performance du système et sa scalabilité qui seront clés pour répondre de manière satisfaisante aux pics de charges et d’activités » (Frédéric Faure, Banque de France)

Il y est notamment question des options d’interfaces-client et de discussions autour de l’intégration supervisée d’intermédiaires comme les banques commerciales dans la création, la distribution, et la gestion de transactions avec la monnaie numérique de la banque centrale.

Cette phase mobilise divers acteurs multifonctionnels pour répondre aux différents aspects de l’initiative. Dans ce contexte, Deloitte apporte son expertise au sein du projet sur des points de vue stratégiques et opérationnels, qui incluent :

  • Le positionnement stratégique d’un Euro numérique, son business model dans l’écosystème actuel, et les évolutions de nouveaux business models autour des assets digitaux.
    Pour assurer des transactions sécurisées et sans risques pour des utilisateurs avec différents niveaux d’accès au digital.
  • La gestion du projet et la coordination des différentes parties prenantes au cours des différentes phases.
    Pour répondre aux ambitions du projet, et structurer les piliers stratégiques du MNBC.

 

3. Cas d’usage et impacts

Plusieurs perspectives ont émergé concernant la valeur ajoutée d’un tel euro numérique, sa structure technique, ainsi que la priorisation de ses cas d’usage dans différentes industries (voir schéma).

Plus globalement, les ambitions seraient les suivantes :

Améliorer les paiements transfrontaliers et en devise

  • En limitant les frais et les délais de transferts.

Utiliser l’e-euro pour améliorer la liquidité via des AMM

  • Un Automated Market Maker (AMM) est un programme (ou smart contract) permettant l’échange d’actifs digitaux en pair-à-pair. L’utilisation d’un AMM se présente comme une alternative aux marchés traditionnels, utilisant la mécanique d’ordre d’achats et de ventes, et dont le but est d’automatiser certains échanges et ainsi la liquidité des produits sous-jacents.Développer la tokenisation de titres financiers
    En jouant le rôle d’actif de confiance pour le règlement de ces titres (s’appuie sur les deux premiers points).

Assurer une stabilité et gestion financière de la monnaie fiduciaire

  • Le développement de cet euro numérique et des outils sous-jacents permettra une meilleure utilisation pour les utilisateurs mais également une meilleure gestion par la banque centrale de cette masse monétaire.

 

Conclusion

Parmi la centaine de pays (112) qui progressent sur des projets de MNBC, une dizaine ont abouti au lancement d’une devise numérique. L’impact d’un euro numérique dépendra de nombreux facteurs, dont le calibrage étayé contribuera à assurer la stabilité financière européenne, et la pérennité des banques commerciales.

Malgré les nombreux défis autour de la conception et des caractéristiques finales d’un e-euro, la BCE réitère son ambition de mener à bien ce projet. Les avancées proposées dans leur dernier rapport font partie du contexte plus large de la phase d’investigation, après quoi le ‘Governing Council’ émettra sa décision quant à la volonté, ou non, d’entamer la phase de réalisation du projet à l’Automne 2023.

Affaire à suivre…

 

[1] Article L. 315-1 du code monétaire et financier

[2] ECB: Key objectives of the Digital Euro (Christine Lagarde & Fabio Penetta), 13 Juillet 2022

 

Sources :