Après avoir travaillé au Ministère de l’Economie et des Finances, puis à l’Ambassade de France à Berlin, Fabrice Pesin a été secrétaire général adjoint de l’APCR en 2010, avant d’être nommé Médiateur national du crédit en 2015. Il revient sur la perte de confiance qui a résulté de la crise financière de 2008, et explique le rôle de la confiance dans l’obtention de prêts bancaires pour les entreprises.

La Médiation du crédit aux entreprises a été créée fin 2008, juste après l’éclatement de la crise financière. Quel est le contexte qui a entouré cette création ? 

Il faut rappeler qu’il s’agissait d’une crise d’une ampleur historique. Ce qui s’est produit était inédit depuis la crise de 1929. Suite à la chute de Lehman Brothers, on a assisté à une disparition brutale de la confiance qui a grippé tout le système financier. L’un des premiers problèmes qui s’est posé a été la crise de confiance entre les différentes banques commerciales. En temps normal, les banques se prêtent de l’argent entre elles : c’est ce qu’on appelle le marché interbancaire. Mais pour que des établissements acceptent de se prêter entre eux, même sur quelques jours, il faut de la confiance. En 2008 la rupture de confiance fut telle qu’aucune banque commerciale ne voulait prêter à ses pairs. Pour assurer la circulation des liquidités sur ce marché essentielle au bon fonctionnement du système bancaire, il a fallu passer par l’action d’une part, de plusieurs gouvernements qui ont injecté des fonds publics et garanti des emprunts, et d’autre part, des banques centrales qui ont prêté aux banques commerciales. C’est ce sauvetage qui a permis de rétablir la confiance dans l’ensemble du système.

A quel besoin venait répondre cette institution ?

L’idée de la Médiation du crédit était de venir en aide aux entreprises qui rencontraient des difficultés de financement avec leurs banques pendant cette période de crise et de défiance. Les pouvoirs publics avaient peur que les banques cessent de prêter aux entreprises. La Médiation du crédit a donc été créée pour éviter un rationnement du crédit. Son rôle est d’aider toutes les entreprises, quelle que soit leur taille ou leur secteur d’activité, qui rencontrent des difficultés avec leurs banques. Il s’agit d’un dispositif public, confidentiel et gratuit qui aide les entreprises à trouver des solutions de financement dans les cas où leurs banques leur refusent un crédit ou le rééchelonnement d’un prêt existant, ou dénoncent un découvert.

 

Il n’est pas toujours évident d’aller vers un médiateur : il faut se mettre à nu, expliquer ses problèmes. C’est parfois vécu par l’entrepreneur comme un aveu d’échec de sa propre gestion de l’entreprise. Bien évidemment, notre rôle n’est pas de le juger.

 

Comment le rôle du Médiateur du crédit a-t-il évolué dans les années qui ont suivi la crise financière ?

La crise de défiance que nous avons traversée en 2008 a perturbé le fonctionnement même du secteur bancaire et son rôle de financeur de l’économie réelle. Depuis, les années ont passé et la nature de la crise a évolué. Il y a eu ensuite une crise de la zone euro, qui était elle aussi une crise de confiance. Aujourd’hui, la crise financière est a priori derrière nous, tout comme celle de la zone euro, mais il reste la crise économique. Les problématiques sont de nature différente. La confiance est revenue dans le secteur financier, mais la question est désormais de diffuser la confiance au niveau de l’entreprise, en termes de débouchés, de carnets de commandes, d’investissements… La Médiation du crédit poursuit son travail en aidant les entreprises à trouver du financement.

Quel est le taux de succès de la Médiation du crédit ?

Dans plus de 60% des cas, nous arrivons à trouver une solution et un montage qui permet à l’entreprise de financer son cycle d’exploitation. La plupart du temps, lorsque nous sommes en échec, c’est parce que l’entrepreneur nous saisit trop tardivement. Il y a malheureusement de trop nombreux cas où nous pourrions aider l’entreprise si nous étions saisis immédiatement, mais où les semaines passent tandis que la situation financière se dégrade. Beaucoup de chefs d’entreprise cherchent à gérer eux-mêmes leurs problèmes, et notamment leurs problèmes de financement, ce qui est humain, mais il faut aussi savoir se tourner vers un médiateur pour trouver une solution.

Est-il facile de convaincre les entreprises de recourir à la Médiation ? Percevez-vous une défiance des chefs d’entreprise à saisir le Médiateur ?

Ce n’est pas simple. Les entrepreneurs qui ont des difficultés ont parfois du mal à être totalement transparents sur la situation financière de leur entreprise. C’est là encore un problème de confiance. Il n’est pas toujours évident d’aller vers un médiateur : il faut se mettre à nu, expliquer ses problèmes. C’est parfois vécu par l’entrepreneur comme un aveu d’échec de sa propre gestion de l’entreprise. Bien évidemment, notre rôle n’est pas de le juger. Le but du jeu est de lui donner confiance pour qu’il nous explique les problèmes qu’il rencontre afin que nous puissions l’aider. Une médiation réussie, c’est justement quand l’entrepreneur est complètement transparent vis-à-vis de nous. Il faut trouver le bon diagnostic très rapidement, mettre en place l’ingénierie financière qui permettra de financer l’activité. Nous devons souvent réagir dans des situations d’urgence, parfois en moins de 48 heures. La question de la confiance est essentielle mais les chefs d’entreprise peuvent être rassurés par le fait que nous sommes une institution publique. Nous avons la compétence, nous nous reposons notamment sur le réseau de la Banque de France et de ses analystes financiers et nous sommes très réactifs Il est aussi important de souligner que nous garantissons une stricte confidentialité. Aucun entrepreneur n’a envie de faire connaître ses difficultés financières.

Quel est le rôle du Tiers de confiance dans ce processus ? (conseiller des chambres de commerce et d’industrie ou des métiers de l’artisanat, expert-comptable, avocats…)

Là aussi, on est  vraiment dans l’humain. Pour quelqu’un qui a des difficultés de financement, le fait de pouvoir en parler en toute confidentialité avec un Tiers de confiance a un côté rassurant. Le Tiers de confiance reçoit le chef d’entreprise et l’oriente si besoin vers la Médiation du crédit, il le conseille et peut même l’aider, si ce dernier le souhaite, à déposer son dossier sur notre site internet (www.mediateurducredit.fr) Nous mettons à disposition de ces entrepreneurs des Tiers de confiance bénévoles, mais nous constatons qu’ils ne sont pas autant sollicités que ce qu’on pourrait penser.

D’une manière plus large, quel est selon vous le niveau de confiance des entreprises envers les institutions ?

Je crois qu’on est dans un pays où le monde entrepreneurial a intégré le fait qu’il y a des institutions très fortes en qui ils peuvent avoir confiance. Pour autant, ça n’empêche pas les chefs d’entreprise de dénoncer les changements – trop répétés à leurs yeux – de réglementation, en matière de droit fiscal ou de droit du travail par exemple, qui affectent leur activité.

Peut-on parler d’un manque de confiance des banques envers les petites entreprises ?

Il ne s’agit pas pour moi d’un manque de confiance. Les banques sont de toute façon soumises à des règles prudentielles. Elles ne peuvent pas prêter à n’importe qui ni à n’importe quelles conditions. Elles sont soumises à des règles assez strictes qui ont été décidées après la crise de 2008. Avec les accords de Bâle III, on leur a demandé de sélectionner de façon encore plus rigoureuse leurs risques pour éviter une nouvelle crise financière. Cela se retrouve au niveau de la distribution de crédit auprès des entreprises. Aujourd’hui la politique très accommodante de la BCE favorise la distribution du crédit. Mais lorsqu’elle envisage d’octroyer un crédit, une banque fait une analyse du risque. Elle prête avec l’idée que l’entreprise va rembourser.

La transparence est-elle importante dans la relation de l’entreprise avec la banque et l’obtention de crédits ?

La banque accorde d’autant plus sa confiance que l’entrepreneur est transparent vis à vis d’elle. Il s’agit de transparence sur les comptes, sur les intentions du dirigeant… La notion de track-record est aussi fondamentale : celui-ci atteste que le chef d’entreprise a plusieurs années derrière lui où il a fait ses preuves, qu’il est capable de gérer une entreprise, de surmonter des incidents, des aléas. La transparence concerne également l’anticipation par l’entrepreneur de ses besoins de financement. Si les carnets de commandes se remplissent et qu’il va falloir financer le BFR, il ne faut pas attendre le dernier moment pour avertir son banquier. Il vaut mieux le dire trois semaines à l’avance plutôt qu’au moment où il faut acheter des machines ou des matières premières.