La finance verte en cours de cadrage

A l’heure où le Brexit remet en question la prééminence de la City britannique, la France a choisi la finance verte comme axe de différenciation pour gagner de l’importance dans la finance mondiale. C’est dans cette optique que le président Macron a décidé d’organiser le « One Planet Summit », qui s’est tenu à Paris le 12 décembre dernier, autour essentiellement de problématiques financières. Pour que la finance mondiale devienne plus responsable, l’une des exigences absolues est celle de la définition de cadres méthodologiques, permettant de définir ce qu’est (ou non) une finance durable et les moyens à mettre en œuvre pour accélérer son développement. Un besoin auquel d’éminents acteurs ont déjà commencé à travailler.

Le monde de la finance manque encore de cadres conceptuels et de méthodes pour intégrer l’aspect « vert » à son modèle. Des groupes de travail nombreux et prestigieux se sont mis au travail pour faciliter cette appropriation des enjeux de la transition écologique par le monde de la finance. A l’initiative du G20, la TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures) a ainsi publié des recommandations en juin 2017. En Europe, le HLEG (High Level Expert Group on Sustainable Finance) travaille également sur ces sujets, missionné par la Commission européenne. La France a pris un peu d’avance dans ce domaine puisque l’article 173 de la loi sur la Transition énergétique de 2015 a déjà fixé certaines exigences.

Le HLEG a rassemblé une vingtaine d’experts de l’industrie, du monde académique et de la société civile afin de construire une vision holistique de ce qu’il faut faire évoluer sur les marchés financiers. Un rapport intermédiaire a été publié en juillet dernier. Même si l’on ne sait pas encore si elles seront confirmées dans le rapport final prévu fin janvier 2018, certaines de ses recommandations sont absolument majeures :

  • Inscrire dans la responsabilité fiduciaire (ou légale) de l’investisseur l’obligation de gérer les risques ESG de long terme (climat, biodiversité etc.). Ce qui est fondamental est qu’on ne parle pas uniquement des risques qui impactent l’investisseur mais également de ceux qui impactent les parties prenantes des projets financés (populations locales, fournisseurs, autorités, etc.) ;
  • Etudier la possibilité de ratio de capitaux propres plus faibles lorsqu’un établissement de crédit fait du prêt « vert » (pour réorienter le crédit), le Green Supporting factor.

L’approche de la Task Force on Financial Disclosure (TCFD) est différente. Là où le HLEG souhaite changer les règles du jeu, la TCFD ne remet pas en cause les règles du jeu mais fait des recommandations en matière de transparence. Pour simplifier (grossièrement), elle part de l’hypothèse que les marchés sont efficients et que ce qui manque, c’est de l’information. Elle recommande notamment aux émetteurs, aux entreprises, de fournir des informations sur la manière dont elles évaluent et gèrent le risque climatique et recommande aux gestionnaires d’actifs de mesurer l’empreinte carbone de leur portefeuille ou encore aux fonds de pension d’analyser si leur portefeuille est compatible avec l’objectif de limitation du réchauffement climatique à 2°C.

Il s’agit donc de deux approches complémentaires. La TCFD répond à l’enjeu du financement de la transition par : « les marchés manquent d’information pour correctement évaluer les risques et les rendements ». Le HLEG répond à la même question plutôt par : « il faut changer les règles du jeu. La transparence est nécessaire mais pas suffisante ».

La finance est à la croisée des chemins : durement touchée par la crise de 2008, elle peut, grâce à la finance verte, retrouver un rôle d’orientation de l’économie vers des activités plus résilientes et en cohérence avec la transition écologique majeure actuellement nécessaire. Cela impose de construire des cadres méthodologiques, mais aussi de convaincre l’ensemble des parties prenantes (investisseurs, quelle que soit la taille de leur portefeuille, et projets en besoin de financement) que finance et transition écologique et solidaire ne sont pas antinomiques, bien au contraire !

Si ce sujet vous intéresse, n’hésitez pas à me contacter.

Nicolas accompagne les entreprises sur leur stratégie, déploiement opérationnel et reporting en matière de Développement Durable et de Responsabilité Sociétale. Il est spécialisé dans l’ESG (Environnement, Social et Gouvernance) appliqué au secteur financier : Finance Responsable, Due Diligences, Impact Investing, Green Bonds, ISR (investissement socialement responsable), etc.

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