Gaming : l’Afrique bientôt aux manettes ?
Publié le 14 mars 2016
Avec près de 75 milliards de dollars générés en 2015, l’industrie mondiale des jeux vidéo entame 2016 sous de très bons auspices. Les nouvelles technologies transforment à toute vitesse cette industrie au point d’en remodeler sans cesse ses acteurs, utilisateurs, business models et supports. Les sociétés éditrices de jeu, studios de développement et distributeurs doivent s’adapter aujourd’hui à ces nouveaux usages afin de ne pas couler. Pour des raisons économiques et socio-culturelles, l’Afrique est longtemps restée écartée du jeu. Pourtant aujourd’hui, elle a toutes les chances de revenir dans la partie.
L’Afrique passe au niveau supérieur
Le manque d’équipement high-tech, les faibles revenus des populations et la pénétration vacillante d’internet ont constitué des obstacles évidents à l’émergence d’une culture de masse des jeux vidéo. Aujourd’hui, différents facteurs laissent penser que le continent est prêt à accueillir ce marché. Nous assistons, d’une part, à l’émergence d’une classe moyenne plus jeune, plus connectée et aspirant à de nouveaux besoins. Les abonnements mobiles frôlent désormais le milliard et on compte plus de 350 millions de smartphones sur le continent. D’autre part, le marché mondial des jeux vidéo est en pleine mutation et fait plus que jamais de l’œil au smartphone. Selon nos prévisions, les ventes mondiales de jeux sur smartphone pourraient même surpasser pour la première fois cette année le nombre de ventes sur PC et consoles.
Cette révolution du petit écran est symptomatique de l’émergence de nouvelles pratiques de jeux. Si notre compagnon de poche s’affiche progressivement comme support privilégié, c’est qu’une nouvelle typologie de joueurs participe à la transformation des usages. En effet, la démultiplication des supports a eu pour effet d’élargir considérablement la base des joueurs : alors que les « hardcore gamers » occupaient tout le terrain et jouaient majoritairement sur ordinateur ou console, ils ont été rejoints par des « casual gamers », une large base d’utilisateurs qui s’adonnent aux jeux sur smartphones pour se divertir et faire passer le temps lors de trajets en transport en commun par exemple. Dans cette logique, il n’est pas surprenant que près d’1,75 milliard de smartphones et tablettes servent – ou aient déjà au moins une fois servi – de support aux jeux vidéo.
Le réveil de l’esprit entrepreneurial
Tiré par l’essor des smartphones d’occasion et low-cost qui pourraient représenter un marché de 17 milliards de dollars dans le monde, le secteur africain des jeux vidéo a donc toute la latitude pour émerger. Il polarise déjà l’attention des géants du secteur qui ont noué des partenariats avec certains opérateurs mobiles locaux. Certains pays sont d’ailleurs plus matures que d’autres, à l’image de studios de conception sud-africains, nigériens, ghanéens, camerounais et tunisiens qui affichent un dynamisme prometteur.
A l’origine de ces projets, on retrouve beaucoup d’initiatives individuelles venant de jeunes entrepreneurs ou d’amis liés par une passion commune. Fans de jeux vidéo, d’informatique, de développement ou de design, ces jeunes pousses se lancent dans l’aventure en autodidacte et avec peu de moyens, faute de structures de formation dédiées. Ainsi, avant de rentrer dans la cour des grands, le studio camerounais Kiro’o Games a fait ses armes en développant plusieurs jeux en amateur afin de s’adapter aux demandes de leurs consommateurs. Pourtant, la plupart des sociétés et studios de conception ont d’abord dû naviguer à vue pour évaluer les attentions des consommations. Pour cause : aucune étude de marché n’a été menée en Afrique francophone pour établir un profil type de consommateur ou une segmentation plus fine de la cible. Une chose est pourtant sûre, l’industrie du gaming constitue un riche terreau pour l’esprit entrepreneurial naissant en Afrique comme en témoignent les nombreuses initiatives individuelles qui ont rencontré le succès à force de persévérance.
Un nouveau vecteur de diffusion pour la créativité et la culture africaines
Il est intéressant d’observer que les studios de développement africains les plus dynamiques ont placé leurs héros, intrigues et environnement dans un contexte africain. A l’instar de Kiro’o Games avec « Aurion, l’héritage des Kori-Odan » et de Maliyo avec « Mosquito smasher », les jeux rappellent des situations dans lesquelles les Africains peuvent s’imaginer, voire s’identifier. L’histoire et les mythes africains sont une source extraordinaire de création à portée de main des concepteurs de jeu. Beaucoup puisent leur inspiration artistique dans les traditions, coutumes, scènes de la vie quotidienne ou personnages traditionnels qui leur sont familiers. A terme, les jeux vidéo africains pourraient se muer en vecteur puissant d’expression pour les jeunes générations africaines, bien au-delà des frontières.
Toutefois, les fonds ne sont pas toujours au rendez-vous. Les gouvernements sont encore réticents à investir ou parrainer ces start-up bien qu’en Afrique centrale la volonté de certains Etats de participer à l’émergence du secteur soit visible. Il est alors nécessaire que les Etats encouragent ce type d’initiatives, le secteur ayant prouvé son dynamisme et sa capacité à créer de l’emploi.
Le secteur des jeux vidéo est encore un ovni dans le paysage africain mais suscite l’attention et les interrogations, premiers jalons d’une prise de conscience collective de l’intérêt du secteur pour l’économie africaine. Les nouvelles technologies font progressivement leur chemin en Afrique ; la transformation des usages de consommation, l’éducation au digital et le dynamisme des jeunes générations d’entrepreneurs pourraient faire émerger des jeux vidéo d’un nouveau genre. Bientôt l’African Fantasy ?