Hervé Le Lous : « La confiance est absolument essentielle dans les métiers de la santé »
Publié le 08 février 2016
Rigueur de la réglementation, exigence en matière d’innovation, rôle des tiers de confiance, nécessité d’anticiper les décisions : Hervé Le Lous, Président du groupe URGO, expose les spécificités des métiers de la santé. Celui qui transmet progressivement les rênes de ce family business à ses trois fils, dévoile aussi les secrets d’une transmission d’entreprise réussie.
La confiance des consommateurs est-elle selon vous plus difficile à obtenir dans les métiers de la santé que dans d’autres secteurs ?
La confiance est absolument essentielle dans les métiers de la santé, puisqu’ils touchent à ce que nous avons de plus intime. C’est tout particulièrement le cas lorsque l’on développe des produits pour enfants, qui ont une dimension affective très forte. Chez URGO, la confiance se construit sur le long terme. Pour la susciter, nous offrons le meilleur service possible, en développant des produits de haute qualité. Cette qualité implique une rupture par rapport aux dispositifs médicaux existant auparavant, et donc un travail considérable de recherche et d’innovation.
La charte éthique est quelque chose qui doit être vécu.
La confiance, c’est aussi l’accumulation de contrôles positifs chez nos utilisateurs. Le patient achète un produit, constate que ce produit remplit sa fonction, puis en achète un deuxième. C’est comme ça que se bâtit la confiance, année après année. Mais cette relation est terriblement asymétrique, tout particulièrement dans le domaine de la santé. Il faut trente ans pour construire la confiance autour d’une marque au moyen de bons produits, et un seul dérapage peut ruiner cette image. Nous n’avons aucun droit à l’erreur. J’insiste sur le fait que nous sommes observés par toute une communauté : les salariés, les administrations, les patients, les pouvoirs publics… Dans la mesure où l’on n’a jamais déçu, la confiance se bâtit.
Dans quels domaines Urgo innove-t-il ?
Tout le monde connaît Urgo et Humex, qu’on trouve en pharmacie. Ces produits constituent la partie visible de l’iceberg : la moitié de notre chiffre d’affaires porte sur des produits utilisés en milieu hospitalier. Ils servent à soigner des plaies qui mettent très longtemps à cicatriser, comme les brûlures graves ou les escarres. Nous sommes passés du pansement qui protège, tel qu’il existait il y a une dizaine d’années, à des pansements qui guérissent et qui incorporent de la technologie.
Quelle est votre politique en matière de contrôle de qualité ?
Cela représente un travail gigantesque. Depuis l’idée de la création du produit jusqu’à sa mise sur le marché, nous avons des process de contrôle, d’assurance-qualité, qui nous permettent de vérifier tout, tout le temps. L’ensemble de ces étapes bien menées donne l’avantage d’un produit quasiment parfait dès sa mise sur le marché. Même si l’élaboration du dispositif est un peu plus longue, ces process permettent in fine de gagner du temps.
Quel est votre regard sur les chartes éthiques ?
Il peut être tentant d’inscrire dans un document la façon d’être de l’entreprise : qui elle est et quelle est sa philosophie. Pour ma part, je pense que la charte éthique est quelque chose qui doit être vécu, plus qu’écrit. Il est important d’en posséder une, puisque c’est un document légal, mais elle n’a pas forcément vocation à être mise en avant. Elle peut toutefois être utile dans le cas où l’on constate des comportements déviants au sein de l’entreprise. Mais si c’est le cas, il faut s’interroger sur les raisons qui ont permis à une personne « déviante » de s’installer dans l’entreprise.
La communication est-elle un levier de confiance pour Urgo ?
Dans notre secteur, la communication se fait par plusieurs biais. En plus de la communication média classique, il y a aussi et surtout le relais de confiance qui se fait via tous les intermédiaires, professionnels de la santé, et en premier lieu le pharmacien et le médecin. Ces professions sont investies d’un capital confiance très important dans la population.
Quel regard portez-vous sur la réglementation qui encadre les produits pharmaceutiques aujourd’hui en France ?
Dans le secteur des dispositifs médicaux, la réglementation d’autorisation de mise sur le marché est européenne, au standard mondial le plus élevé. Une fois qu’un nouveau produit a passé ce standard, il obtient l’acceptation des autorités réglementaires. Mais la réelle mise sur le marché dépend de beaucoup d’autres bureaucraties et notamment de l’établissement d’un prix de remboursement pour nos dispositifs médicaux prescrits.
La France a un rôle international à jouer dans la technologie du dispositif médical.
La situation est un peu particulière en France, puisqu’il faut quatre ans pour obtenir ces documents contre deux mois en Allemagne ou huit mois en Grande-Bretagne. Nos produits sortent ainsi en Allemagne quatre ans avant d’être disponibles sur le marché français, alors même qu’ils sont produits en France. Ceci n’a aucun intérêt pour le consommateur français, Le produit, à ce stade, est déjà reconnu par tous les standards européens et a reçu à ce titre l’autorisation de mise sur le marché. Il s’agit d’un véritable frein aux entreprises innovantes françaises. La France a un rôle international à jouer dans la technologie du dispositif médical. Si nous voulons bâtir des champions mondiaux dans ce domaine, il faut d’abord ne pas empêcher les acteurs français de devenir champions dans leur propre pays.
La réglementation européenne est-elle selon vous plus ou moins stricte que la Food and Drugs Administration américaine ?
Dans le dispositif médical, le standard est quasiment le même. Chaque pays place le curseur sur des critères différents, mais la segmentation, la typologie et la sécurité requises sont globalement similaires Je constate, par ailleurs, que les exigences en matière de preuves d’efficacité augmentent d’année en année, ce dont on ne peut que se féliciter.
Avec plus de 2 600 collaborateurs et près de 600 millions d’euros de chiffre d’affaires, Urgo est toujours restée une entreprise familiale. Pourquoi ce choix ?
Parce que cela me plaît, et parce que cela plaît à mes trois fils, qui travaillent aussi dans l’entreprise. Nous nous interrogeons régulièrement : est-ce que nous avons envie de travailler ensemble pour les 20 prochaines années ? Comme la réponse est oui, nous avons la chance d’avoir une visibilité à 20 ou 30 ans. Cela nous permet d’être totalement insensibles aux fluctuations et aux modes.
Comment le groupe Urgo a-t-il vécu la crise de 2008 ?
Nous l’avons vue, mais cela n’a pas été pour nous le drame qu’ont connu d’autres entreprises et d’autres secteurs. Cela s’explique en partie parce que le secteur de la santé est plutôt acyclique. Dans le domaine des produits de santé que les gens payent de leur poche, nous avons perçu une petite baisse de pouvoir d’achat, et donc un petit affaiblissement. En revanche, nous avons constaté un important effet sur la stratégie de remboursement qui, elle, nous a touchés. Il n’y a pas eu d’augmentation de prix mais de grandes difficultés pour obtenir des remboursements pour nos dispositifs médicaux prescrits par le médecin ou l’infirmière dans de très nombreux pays où nous avons constaté des politiques particulièrement strictes pendant plusieurs années.
Le modèle du « family business » est-il selon vous plus durable que d’autres formes de gouvernance d’entreprises ? Et si oui, pour quelle raison ?
Toutes les études montrent que ces entreprises sont plus stables et plus durables. Cela tient à deux choses. D’une part, on travaille la stratégie d’entreprise indépendamment de la stratégie financière à court terme. Dans un LBO, il faut rendre le cash sous 7 ou 10 ans. Or, l’entreprise n’est évidemment pas gérée de la même façon s’il s’agit d’une cash machine ou d’une entreprise dans laquelle on veut investir pour aller loin.
La façon la plus sûre d’obtenir la confiance des gens dans l’entreprise, c’est qu’elle ait de bons résultats.
D’autre part, lorsque l’on prend des décisions avec son propre argent, ça n’a l’air de rien, mais ce ne sont pas les mêmes décisions que s’il s’agit de l’argent des autres. Lorsque l’on investit l’argent d’autrui, on est souvent prêt à prendre davantage de risques pour tenter d’obtenir une victoire spectaculaire et s’en voir attribuer le succès. Ce qui ne signifie pas nécessairement que le projet est plus performant. Il ne faut pas assimiler risque et réussite, qui sont deux concepts très différents.
La détention du capital d’une société par la famille est-il selon vous un facteur de confiance vis-à-vis des salariés ?
La principale différence, c’est que les collaborateurs ont accès aux personnes qui incarnent les décisions ultimes. Ce n’est pas le cas lorsqu’on est face à un conseil d’administration qui émane d’une assemblée générale de fonds qui eux-mêmes gèrent l’argent d’autres personnes. Dans ce cas de figure, la décision est très éloignée du salarié. Dans notre cas, on peut voir la personne, discuter avec elle et partager la vision à long terme. La communication et l’information se font plus rapidement. Les checkpoints sont plus fréquents et entraînent donc une meilleure visibilité, une meilleure communication et une meilleure transparence qui contribuent à améliorer la confiance. Mais la façon la plus sûre d’obtenir la confiance des gens dans l’entreprise, c’est qu’elle ait de bons résultats.
Quel est votre degré de transparence vis-à-vis de vos salariés ?
Chaque année, nous informons l’ensemble de nos salariés de ce que nous avons réalisé et de ce que nous allons faire, de nos stratégies. Ils ont accès à des informations que nous ne souhaitons pas divulguer dans la presse. Nous ne leur demandons pas de signer de clause de confidentialité, mais nous n’avons jamais rencontré de problème de fuite. C’est un état d’esprit.
Vous ne recourez pas à la dette. Pourquoi ?
Pour nous, le fait de ne pas recourir à la dette est un résultat, pas un moyen. Il ne s’agit pas d’une contrainte que nous nous imposons. C’est plutôt le résultat d’une superbe gestion sur de très nombreuses années qui nous affranchi du besoin de financement externe pour l’instant. Si une acquisition de grande ampleur, logique et rentable, demandait que nous nous endettions, nous le ferions. Le seul frein à la croissance externe consiste à trouver les bonnes cibles, d’être capables de les gérer avec la bonne capacité managériale, dans les bons pays, avec les bonnes synergies. Lorsqu’on a posé tous ces filtres, on s’aperçoit que ces opportunités sont rares.
Quelle est, pour vous, la valeur de l’indépendance ?
Il est plus agréable, quand on a une stratégie d’entreprise à mener, de savoir que le seul critère est de poursuivre le développement sans dépendre d’autres facteurs.
Comment expliquez-vous la réussite de la transmission de votre entreprise ?
Je me suis occupé de cette question dès la création de l’entreprise, en 1985. Je l’ai tout de suite démembrée en nue-propriété et usufruit. Cela m’a permis d’en assurer la transmission selon la loi française. Outre cet aspect purement capitalistique, c’est quelque chose qui a été préparée sur vingt ans, avec des conseils extérieurs qui nous ont expliqué comment nous organiser au mieux. Le passage de relais ne fonctionne évidemment que parce que mes trois fils l’ont souhaité.
A titre personnel, je reconnais avoir senti un petit manque au moment où je suis passé du rôle de patron exécutif à celui de Président du groupe. Il y a un petit passage à vide, comme lorsqu’on prend sa retraite, mais cela permet aussi de me concentrer sur des sujets que j’affectionne particulièrement comme l’enseignement dans le cadre de notre université d’entreprise, la URGO University, la fondation d’entreprise URGO et tout ce qui vise à favoriser la recherche partenariale entre le monde public, académique et le monde de l’entreprise.