Inflation : mort et résurrections
Publié le 26 janvier 2018
La mort de l’inflation a partout été annoncée, trop tôt. On l’a enfouie sous des pelletées de terre, trop nombreuses. La première était celle de la concurrence, désormais mondiale. Sous la pression de la Chine et des pays à bas salaires, avec l’aide de moyens de transport de plus en plus efficaces, tous ces containers sur des cargos toujours plus gros, les biens circulent plus vite, allant des pays pas chers vers les pays chers. L’autre pelletée de terre a été celle de la révolution technologique. Désormais, ce sont les messages qui circulent de plus en plus vite, donc une part croissante des services, avec des modèles qui cernent au plus près les demandes et optimisent les productions, pesant sur l’activité, gérée au plus juste. La Chine devient l’atelier du monde, l’Inde son centre informatique, l’un et l’autre bénéficiant d’économies d’échelle sans pareille.
Depuis, d’autres pelletées ont été ajoutées, moins copieuses. La Chine devenait en effet plus chère, mais pas (encore) le Mexique, le Cambodge, ou le Vietnam. Les salaires se mettent alors partout à augmenter, avec des revenus qui soutiennent la croissance des pays émergents, donc la demande de matières premières, donc les hausses des prix du pétrole, du cuivre, du blé, donc celle des prix et des salaires. L’inflation, qui devait mourir sous la concurrence alliée à la technologie, renaît, avec quatre résurrections.
La première résurrection de l’inflation vient des grands pays, à 2% d’inflation et en plein emploi ! Le paradoxe paraît étonnant, mais c’est pourtant ce qui se passe aux États-Unis, où l’inflation va vers 2,2% pour un chômage à 4,1%, ou encore en Allemagne, avec une inflation à 1,7% pour un taux de chômage à 3,6%. Dans ces deux pays, le plein-emploi cohabite avec la norme de 2% d’inflation que cherchent les banques centrales ! Miracle d’équilibre entre les hausses de salaires des informaticiens (assez peu nombreux) et celles, très modestes, des (nombreux) salariés dans les services de proximité ?
La deuxième résurrection est celle où l’inflation résiste, face à un chômage très élevé. C’est le cas en Italie : 0,9% d’inflation pour 11,1% de chômage, en Espagne : 1,2% pour 16,4% de chômage, et aussi en France, avec 1,2% d’inflation pour 9,7% de chômage. Pour les pays en plein emploi, le taux d’inflation est ainsi la moitié du taux de chômage, tandis que dans les pays encore en crise le taux d’inflation est le dixième du taux de chômage ! L’inflation devrait monter chez les premiers et ne baisse pas chez les autres !
La troisième résurrection de l’inflation est celle du prix du mètre carré dans les métropoles mondiales. Hong Kong est en tête du palmarès (13 400 euros), Londres suit (9 700 euros), New York n’est pas loin (8 000 euros), Paris se porte bien (7 700 euros, selon Bloomberg). Et Francfort, grâce au Brexit, va faire des progrès rapides, mais à partir de 5 600 euros !
Mais la quatrième, et plus belle, résurrection de l’inflation est boursière. Jamais, on n’avait vu une telle hausse des cours aux États-Unis, aussi longue en Allemagne et, par contagion, partout ailleurs. La source de l’embellie est monétaire : les banques centrales ont créé de la monnaie comme jamais, pour sortir de la Grande récession de 2008, en achetant les bons du trésor. L’idée était que le crédit moins cher ferait repartir l’investissement, puis l’emploi, puis les salaires, selon la célèbre loi chômage-inflation (relation de Phillips). Manque de chance, les crédits pas chers ont été utilisés pour acheter des produits financiers plus rentables, et surtout des entreprises et organiser ainsi des concentrations. Ceci, d’un côté, a fait monter la bourse mais, de l’autre côté, a pesé sur les salaires, accélérant robotisations et restructurations.
Comment tout cela va-t-il évoluer ? Le plus probable, c’est que l’inflation classique, salariale, celle qui apparaît dans les pays en plein emploi va accélérer, mais « un peu ». Mais ce « un peu » suffit ! Comme elle est déjà aux alentours de 2%, toute hausse nouvelle implique des hausses de taux d’intérêts des banques centrales. C’est la ligne rouge. Ensuite, cette hausse des taux courts donne l’alarme et fait donc, aussi, monter les taux longs. Puis cette hausse des taux longs se mondialise, pesant sur les entreprises et pays fragiles, notamment émergents, puis sur les bourses.
Devant ce risque de krach obligataire puis boursier, les investisseurs peuvent se défaire au plus tôt de leurs obligations, propageant et accélérant les interrogations financières, calmant la reprise. La résurrection de l’inflation risque donc d’être brève. On la regrettera.
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