Interview croisée : l’Open Banking au service de l’analyse crédit
Publié le 05 janvier 2021
Interview croisée entre François Gutierrez, Associé et Chief Revenue Officer d’Algoan & Julien Maldonato, Associé FSI Deloitte.
Créée en 2018, la start-up Algoan s’est donné pour ambition de faciliter l’accès au crédit. Pour y parvenir, elle propose aux établissements bancaires d’aller plus loin dans leur analyse crédit en ajoutant au classique score socio-démographique, un nouveau critère : le score comportementaliste financier. L’objectif est de donner un score plus représentatif de la situation financière du demandeur de crédit. Algoan permet ainsi de financer 40% de prêts supplémentaires à iso risque et de diminuer le risque de 80 % au même taux d’acceptation. Cette démarche ne serait possible sans l’Open Banking, qui incite très largement les banques à ouvrir leurs systèmes d’information et à partager avec leurs concurrents une partie de leurs données clients.
Votre solution s’appuie sur l’Intelligence Artificielle (IA) et votre très forte connaissance du métier du crédit. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre business model ?
François Gutierrez : C’est la vision de nos deux fondateurs – l’un venant du monde de la finance et l’autre du monde de l’IT – qui a permis de construire une solution riche opérationnellement et solide techniquement. Des profils expérimentés, à la fois en marketing et commercial et sur le métier du crédit, sont venus renforcer cette vision, qui s’ancre ainsi jusqu’au top management. Intégrer l’Intelligence Artificielle à notre solution vient renforcer cette connaissance métier. En effet elle nous permet à la fois de catégoriser et d’analyser les données collectées, de proposer un parcours client rapide et simplifié et un scoring sur-mesure. Celui-ci est calculé non seulement lors de l’entrée en relation mais également tout au long de la vie du crédit, pour s’adapter à la situation financière du client et à son comportement de consommateur (score comportementaliste basé sur les données bancaires des trois derniers mois). En synthèse, l’IA et l’open banking permettent un parcours conversationnel intuitif et formateur, d’effectuer une demande de crédit en moins de 7 minutes et de bénéficier d’une vue synthétique de la situation, à la fois côté emprunteur et côté banque.
Nous comprenons que la solution d’Algoan requiert le partage des données de paiement, rendu possible avec la DSP2 (Directives des Services de Paiement 2). Comment appréhendez-vous cet enjeu ?
François Gutierrez : Plus un client peut voir l’intérêt qu’il gagne à utiliser une solution, plus cette solution est adoptée. C’est ce qu’il se passe avec le paiement sans contact par exemple, malgré une forte réticence des clients sur les premières années. Algoan a donc mis en place un parcours conversationnel via chatbot qui montre aux clients que notre démarche permet de finaliser une demande de crédit rapidement. Grâce à cela, le taux de partage est supérieur au parcours traditionnel. Il est vrai que nous observons que certaines tranches d’âge sont plus ou moins enclines à partager leurs données bancaires : les 29-39 ans sont ceux qui adoptent le plus massivement notre solution, alors qu’au-delà, les clients sont moins favorables au partage de leurs données. A noter que nous ne parlons là que du partage des données de paiement sur les 3 derniers mois, et non du partage de données personnelles.
Julien Maldonato : La question du partage des données bancaires, et plus globalement des données personnelles, est un réel enjeu pour les Français, qui considèrent que les nouveaux acteurs (start-ups, grande distribution, géants du Web, etc.) doivent encore faire leurs preuves dans le domaine de la gestion des données. Pour autant, 70% des français sont aujourd’hui prêts à donner plus de données personnelles à leur banque principale afin d’obtenir des services mieux adaptés à leurs besoins. Et plus particulièrement le segment des 18-34 ans, très réceptif sur ce sujet, et dont la volumétrie ne fera qu’augmenter à l’avenir.
La DSP2, qui est la genèse de l’Open Banking, est entrée en vigueur en septembre 2019. Un an plus tard et dans un contexte de crise économique, comment estimez-vous le niveau de maturité du marché sur la transformation de l’évaluation du risque crédit ?
François Gutierrez : Les cas d’usages DSP2 ne se cantonnent pas à l’agrégation de comptes et à l’initiation de paiement, et les établissements bancaires le savent. De nombreux projets sont lancés pour intégrer de nouveaux cas d’usage ; l’écosystème est dans une phase de démarrage. Par exemple, en plus de l’octroi de crédit, l’aide à la planification et le rachat de crédit, nous étudions avec des distributeurs d’autres cas d’usage comme le paiement fractionné. La crise économique engendrée par le Covid-19 vient accélérer ce démarrage, en montrant que de nouveaux indicateurs de risques sont à prendre en compte dans le « credit decisionning » et en accélérant les cas d’usage liés à la replanification de crédit. Dans tous ces cas de figure, nous commençons à collecter des retours d’expérience utilisateurs que nous voulons partager, notamment via notre Livre Blanc, pour acculturer les différents acteurs et tirer rapidement profit de l’association Open Banking et credit scoring.
Julien Maldonato : La crise du Covid-19 impacte fortement l’activité économique et se traduit par une augmentation significative à court terme du risque de crédit. Pour y faire face, les établissements de crédit doivent qualifier précisément les besoins d’accompagnement de leurs clients et définir des stratégies plus adaptées et progressives en fonction de la segmentation de clientèle. Se doter d’un outil de scoring étudiant le comportement financier des demandeurs de crédit, et permettant de financer plus de prêts, tout en diminuant le risque crédit, est devenu un enjeu majeur.
Vous avez signé un partenariat avec Budget Insight pour adresser l’enjeu de la renégociation de crédit. Envisageriez-vous de réitérer cette démarche avec d’autres acteurs, comme les Big Techs par exemple ?
François Gutierrez : Notre partenariat avec Budget Insight nous permet d’évoluer d’un modèle BtoB à un modèle BtoC, pour adresser directement la clientèle finale. Nous favorisons, par ce partenariat, la renégociation de crédit, que nous voulons rendre accessible à un plus grand nombre dans un contexte de crise sanitaire et économique. Grâce à notre modèle agile, nous pouvons dupliquer facilement ce partenariat, que ce soit en France ou à l’étranger, avec des acteurs comme Budget Insight ou les Big Techs. Aujourd’hui ces dernières passent par des sociétés de crédit pour pouvoir distribuer ces produits via leur plateforme. Elles ne possèdent donc pas l’expertise métier du « credit decisionning ». De notre côté, parce que nous avons développé notre solution sur API, nous avons la capacité de permettre à nos partenaires d’intégrer notre outil en moins d’un mois, et sans avoir besoin de l’intégrer à leur système d’information. Alogan voit donc la perspective d’un géant du web possédant une licence de AISP et/ou PISP comme une réelle opportunité pour créer de nouveaux partenariats.
Julien Maldonato : Aux Etats-Unis, les BigTechs ont déjà commencé à se développer sur le marché bancaire. Par exemple, Apple a lancé une carte bancaire en partenariat avec Goldman Sachs, Amazon et Google offrent la possibilité d’ouvrir un compte courant en partenariat avec respectivement J.P.Morgan et Citi Bank, etc…. En France, même si les clients accordent très majoritairement leur confiance aux banques, on observe un transfert de la confiance que les français accordent aux banques vers les BigTechs. Lorsque les Big Techs entreront sur le marché bancaire européen avec une licence bancaire, grâce à leur puissance de calcul, elles seront capables de mettre en place des modèles prédictifs. Le modèle producteur / distributeur sur lequel les acteurs traditionnels se sont développés sera remis en cause et une logique de partenariat deviendra nécessaire.