L’Open Banking au service de l’écologie : interview croisée avec Greenly
Publié le 07 mai 2021
Interview croisée entre Alexis Normand, Fondateur et Directeur Général de Greenly & Julien Maldonato, Associé FSI Deloitte, le 08 avril 2021.
Greenly est un acteur de la French Tech qui adresse un cas précis de l’Open Banking : le calcul de l’empreinte carbone. Lancée fin 2019, Greenly propose 3 solutions, à la fois sur le modèle BtoC et BtoB, à destination des entreprises et des banques. Alexis Normand, Fondateur et Directeur Général de Greenly, et Julien Maldonato, Associé FSI & Fintech chez Deloitte en charge des sujets d’innovation, nous exposent leur vision des enjeux écologiques et financiers, et les opportunités associées au calcul de l’empreinte carbone.
Entre défi écologique et révolution de l’industrie financière, Greenly souhaite tirer profit de l’Open Banking pour simplifier le suivi de l’empreinte carbone. Pouvez-vous nous présenter vos solutions et leur fonctionnement ?
Alexis Normand : Le déploiement des produits aujourd’hui proposés par Greenly s’est fait en trois temps : nous avons commencé par le lancement d’une application mobile fin janvier 2020 qui, grâce aux API d’Open Banking de Tink, d’Oxlin ou encore de Bridge, récupère les données de paiement des particuliers et leur permet de connaître l’empreinte carbone associée à leurs dépenses. Ce calcul se fonde sur l’empreinte carbone du panier moyen d’une enseigne, puis est enrichi par les habitudes de consommation (végétarien, produits locaux, sans emballage, …) que l’utilisateur aura renseigné dans l’application, et enfin est complété par des données récupérées auprès de l’ADEME (l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Notre technologie d’analyse des paiements a par la suite intéressée les banques. Nous avons donc mis en place un partenariat avec notamment 5 d’entre elles, pour que, grâce à un système d’API, lorsqu’elles nous envoient une donnée de paiement, nous la leur renvoyons complétée de son impact carbone. Enfin, en octobre 2020, nous avons élargi cette technologie aux TPE et PME, pour leur permettre d’avoir un bilan carbone exhaustif de chacun de leurs postes de dépenses : énergie, achats de matière première, locaux, serveurs, etc …. A date, Greenly a réalisé une cinquantaine de bilans carbones d’entreprises.
Julien Maldonato : Comme le montre Greenly, l’Open Banking permet l’essor de nombreux cas d’usage qui vont plus loin que le simple partage des données. Enrichir la donnée de son empreinte carbone est un sujet d’actualité qui résonne dans un contexte de lutte contre le changement climatique, et les acteurs du paiement en ont pris toute la mesure. Par exemple, certains prestataires de paiement offrent à leurs titulaires de carte la possibilité de suivre et de comprendre leur empreinte carbone en fonction des achats effectués.
En proposant une alternative bas carbone à chaque transaction, Greenly aide les particuliers à modifier leurs comportements au quotidien et à aller vers une consommation plus responsable. Un an après votre lancement sur le marché du BtoC, observez-vous une réelle prise de conscience ?
Alexis Normand : Les utilisateurs ont besoin d’être encouragés et de voir leurs efforts récompensés. Nous nous assurons que notre modèle d’analyse de la donnée identifie leurs bonnes pratiques (achats bio, utilisation d’un VTC électrique, achats de technologies reconditionnées, …) et nous leur laissons également la possibilité d’enrichir notre intelligence artificielle (par exemple : un marchand bio que nous n’avions pas identifié peut être indiqué). Pour valoriser ces actions et prises d’initiatives de leur part, nous avons mis en place un principe de cashback, en partenariat avec des commerçants (textile, mobilité, alimentation, …), que des agences comme EcoAct ou StockCO2 évaluent comme participant à :
- L’évitement d’émissions futures de CO2 (ne pas produire d’émission, ou éviter la déforestation) ;
- La substitution à des activités plus carbonées (comme le biogaz qui émet moins que le charbon) ;
- L’absorption de carbone (le fait de replanter des forêts).
Nous avons étudié sur l’année 2020 le comportement de 5 000 utilisateurs, et avons observé une saisonnalité dans l’évolution de l’empreinte carbone : nous notons un effondrement de l’émission de CO2 lors du premier confinement entre mars et mai 2020, car les consommateurs ont arrêté de voyager et se sont concentrés sur les dépenses de première nécessité, puis nous avons constaté une reprise des émissions sur la période estivale, du fait des vacances notamment. Toutefois, un utilisateur actif de l’application voit son empreinte carbone réduite de 10% à 20% sur l’année par rapport à un utilisateur moins assidu : cela signifie que le travail d’acculturation et d’accompagnement porte ses fruits et que c’est bien sur ces axes-ci qu’il faut agir !
Julien Maldonato : Selon l’étude Les français et les nouveaux services financiers, 78% des français sont ouverts à l’idée que leur banque ou assureur leur propose des services extra financiers, notamment à travers la collaboration avec des fintechs comme Greenly. Les français, et plus particulièrement les jeunes, sont conscients des efforts écologiques à fournir et sont prêts à payer une prime d’assurance supplémentaire pour avoir accès à des services d’assistance et de réparation éco-responsables.
L’Europe met en place des mesures incitatives pour encadrer la pratique des bilans carbone : quelles sont les opportunités pour Greenly ?
Alexis Normand : L’empreinte carbone des entreprises varie en fonction des pays : la France, les pays nordiques et l’Angleterre sont plus matures sur le sujet, à contrario de l’Allemagne et de l’Europe centrale qui sont tributaires de leur dépendance économique au charbon. Pourtant, la normalisation de l’exercice du bilan carbone des entreprises et sa certification, sont un enjeu clé pour la finance de demain : Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre de 2013 à 2020, mentionne que le plus grand risque pour la valorisation des actifs, est le risque climatique. La règlementation européenne est d’ailleurs de plus en plus stricte quant à la transparence opérationnelle1 et impose aux gestionnaires d’actifs la réalisation du bilan GES (Gaz à Effet de Serre) de leurs portefeuilles, allant jusqu’au niveau de chacune de leurs sociétés sous gestion. Cet enjeu de certification écologique des comptes mobilisera tous les acteurs, des asset managers aux experts comptables, en passant par les cabinets d’audit et d’analyse (extra)financière. C’est pour Greenly une opportunité de partager plus largement sa technologie d’analyse des écritures comptables.
Julien Maldonato : Dans la 9ème édition des études sur les tendances bancaires et assurantielles, Deloitte met en avant l’importance de la prise en compte de la stratégie RSE dans la transformation des acteurs de l’industrie financière. Pour les banques, L’European Banking Authority met en place un plan d’action pour la finance responsable à horizon 2025 avec pour objectif d’encourager la gestion du risque lié au changement climatique et à la raréfaction des ressources tout en privilégiant la transparence et la vision long terme. Quant aux assureurs, une transformation RSE en 4 étapes sera nécessaire : (1) valider l’ambition RSE, (2) prioriser les propositions de valeur, (3) décliner les critères RSE sur la chaine de valeur et (4) les piloter. Il est nécessaire de s’appuyer sur des technologies développées par des acteurs comme Greenly pour analyser l’ensemble de la chaine de valeur des entreprises avec un regard vert.