Moka est un projet Franco-Canadien qui utilise l’Open Banking et l’agrégation des données bancaires afin de proposer des solutions d’épargne et d’investissement alternatives pour aider les jeunes à atteindre leurs objectifs financiers. Maxime Le Maître, Country Lead France chez Moka et Julien Maldonato, Associé FSI & Fintech chez Deloitte en charge de sujets d’innovation, nous évoquent leur vision des enjeux et du futur du marché de l’épargne.

 

A la suite d’observations sur les difficultés que rencontrent les 18-35 ans à épargner et le lancement d’un sondage auprès de jeunes Canadiens, Moka se lance en 2017 au Canada avant d’arriver en France en Juillet 2020, en pleine crise sanitaire. Pouvez-vous nous présenter ce qu’est Moka et comment vous êtes arrivés sur le marché français ?

 

Maxime Le Maître : Moka a pour ambition d’aider les jeunes de 18 à 35 ans à atteindre leurs objectifs financiers en leur proposant des services simples, automatiques et responsables. Pour y répondre nous avons choisi de lancer des produits d’épargne automatiques dont la fonctionnalité phare est l’arrondi à l’euro supérieur. A titre d’information, nos clients réussissent à mettre entre 12 et 15€ environ de côté par semaine.

Contrairement à un prélèvement fixe, l’avantage de ce mode de prélèvement est son adaptation aux dépenses de l’utilisateur. C’est cette adaptabilité qui a séduit nos clients – majoritairement des étudiants ou jeunes actifs mais parmi lesquels on retrouve également des parents et des retraités. Concernant notre développement, nous nous sommes d’abord lancés sur le marché canadien puis sur le marché français notamment parce que nous avions réalisé une étude en partenariat avec Opinon Way, qui avait mis en évidence que 48% des jeunes français présentaient des difficultés à épargner et que 64% se déclaraient inquiets de ne pas pouvoir financer leurs projets de vie. D’autre part, cette même étude nous a appris que 71% d’entre eux seraient intéressés par des produits d’investissement mais ne savaient pas par où commencer.

Nous sommes ainsi aujourd’hui la première application d’épargne et d’investissement au Canada avec plus de 500 000 utilisateurs et plusieurs dizaines de milliers en France, 10 mois après notre arrivée.

 

Julien Maldonato : Ces dernières années, les acteurs proposant des services de micro-épargne se sont multipliés notamment aux Etats-Unis et ils sont de plus en plus nombreux en France à proposer des services tels que l’épargne automatique intelligente ou encore l’arrondi supérieur pour chaque transaction en mettant la différence sur un compte épargne. Ces fintechs ciblent en priorité les étudiants / jeunes adultes car ce sont ces derniers qui ont le plus besoin d’être accompagné / éduqué sur la thématique de l’épargne. Cependant, les acteurs tendent à diversifier leur cible (en termes d’âge) pour faire de la micro-épargne une épargne de précaution notamment pour les ménages présentant des difficultés financières.

 

Moka se positionne donc sur une stratégie B2C comme de nombreux acteurs et Fintechs, qu’est-ce qui fait votre singularité, quel est votre facteur différenciant et comment cela se matérialise en termes de rentabilité ?

Maxime Le Maître : Notre proposition de valeur peut se décomposer en 2 briques :

  • Notre solution d’épargne simple, automatique et indolore ;
  • Notre service d’investissement accessible à partir de 1€ auprès de fonds de placements responsables ayant un impact environnemental, sociétal ou social (Amundi et PGIM);

Ce positionnement nous permet de nous différencier du marché en proposant des solutions d’épargne et d’investissement sur les axes d’inclusion et d’impacts positifs.

De plus, nous accompagnons les utilisateurs dans leur montée en compétences sur la gestion de l’épargne en leur fournissant du contenu informatif sur les 3 types de portefeuilles ou encore à travers une newsletter avec des conseils plus généraux sur le monde de l’épargne.

 

Par ailleurs, notre modèle économique se fonde sur des frais fixes de 2,99€/mois avec un mois offert, aucune commission sur le retrait ou sur le management d’investissement. Cette volonté est appuyée par une stratégie des grands nombres qui a fait ses preuves au Canada et qui s’oppose au fonctionnement des autres acteurs du marché.

 

Julien Maldonato : C’est notamment l’expérience utilisateur qui est un critère différenciant. En effet, l’expérience utilisateur est un facteur clé de succès pour les néo-banques puisque selon la 5e édition du baromètre Les Français et les nouveaux services financier (Deloitte 2020), 43% des Français clients néo-banques choisissent ces solutions pour leur simplicité d’utilisation. Par ailleurs, les nouveaux acteurs financiers attirent de plus en plus de Français en proposant des services entièrement digitalisés et on observe ainsi par exemple, une hausse de 5 points depuis 2018 sur l’utilisation d’Internet (fixe et mobile) pour souscrire à des offres d’investissement et effectuer des placements.

 

L’Open Banking et l’agrégation des données bancaires sont des sujets d’actualité et au cœur des débats, observez-vous des difficultés à convertir les nouveaux arrivants lors du parcours de souscription et comment faites-vous pour rassurer vos utilisateurs sur la sécurité de leurs données ?  

 

Maxime Le Maître : Tout d’abord, il est important de préciser que Moka est une solution sécurisée. Concernant l’agrégation des données bancaires, nous utilisons Budget Insights, un agrégateur bancaire agréé par l’ACPR et ainsi conforme à la règlementation DSP2. De plus, les informations sensibles comme l’identifiant ou le mot de passe sont traités uniquement par Budget Insights et nous ne revendons aucune donnée de nos utilisateurs.

Pour autant, nous avons pu observer une certaine réticence lors du parcours de souscription face à l’agrégation de données « sensibles » par l’utilisateur ce qui peut générer des abandons de parcours. C’est un des principaux défis que l’on doit relever sur nos produits et notre parcours clients. Cela passera par un travail pédagogique pour rassurer nos futurs clients et limiter le taux d’abandon mais également grâce à une confiance grandissante vis-à-vis des Fintechs du grand public et surtout des jeunes.

 

Julien Maldonato : Selon la 10ème édition de l’étude Relations banques et clients (Deloitte 2020)[1], seulement 42% des Français ont confiance dans le système bancaire. Ce chiffre est stable depuis près de 10 ans et prouve le rôle à jouer des nouveaux acteurs du marché tels que les néo-banques. Cette tendance se renforce notamment sur le marché de l’épargne avec une confiance des Français envers les fintechs quant à la souscription d’un produit d’épargne qui augmente de 2 points entre 2018 et 2020 tandis qu’il baisse de 4 points pour les banques traditionnelles sur la même période (5e édition du baromètre Les Français et les nouveaux services financier, Deloitte 2020).

Par ailleurs, même si l’agrégation de comptes connait encore une faible adoption, on observe un gain d’intérêt chez les Français et notamment chez les plus jeunes avec un taux d’utilisation de 25% chez les moins de 35 ans en 2020 (5e édition du baromètre Les Français et les nouveaux services financier, Deloitte 2020. Cette adoption est d’autant plus forte pour les cas d’usages à forte valeur ajoutée comme sur l’octroi de crédit où l’agrégation de compte vient remplacer un partage manuel et fastidieux du relevé de compte du demandeur. Ce cas d’usage a d’ailleurs connu une très forte hausse de son taux d’adoption en France entre 2020 et 2021 pour atteindre 61% en janvier 2021 (+23 points depuis mars 2020)[2]. Les utilisateurs mesureront-ils la valeur ajoutée du partage de leurs données pour mettre de côté leur réticence ?

 

L’épargne des Français a fortement progressé avec la crise liée à l’épidémie de la Covid-19 et au confinement. Cette épidémie a-t-elle impacté votre activité et votre arrivée en France ?

Maxime Le Maître : Avec notre arrivée sur le marché français en juillet dernier en plein milieu des deux confinements, nous n’avons pas les données et le recul nécessaires pour faire un avant et un après Covid-19. Pour autant, on observe un accroissement de l’intérêt pour l’épargne et pour l’investissement avec de nombreux clients qui nous rejoignent.

Concernant le Canada, nous avons davantage de recul mais la situation financière des Canadiens face à la Covid-19 est très différente, le soutien économique de l’Etat vis-à-vis des ménages ayant été moins fort qu’en France. Nous avons ainsi observé sur le marché canadien un léger pic de demandes de retrait des investissements réalisés avec l’application pour compléter les dépenses de la vie quotidienne. Pour autant les utilisateurs sont restés fidèles à Moka et nous n’avons pas constaté de départ massif d’utilisateurs.

Julien Maldonato : A la suite de la crise liée à la Covid-19, l’épargne des Français n’a jamais été aussi forte. En 2020, les ménages français ont épargné en cumul près de 200 milliards d’euros 1 et se sont tournés vers une épargne plus liquide en mettant de côté les placements à long terme. En effet, le marché de l’assurance vie enregistre un fort ralentissement avec une décollecte nette de 6,5 milliards d’euros [3] sur 2020 tandis que le livret A enregistré lui une collecte nette de plus de 26 milliards sur la même période alors que son taux n’a jamais été aussi bas (0,5%) [4]. Si cette tendance se confirme, les Français pourraient être de plus en plus demandeurs de placements liquides tout en recherchant le meilleur rendement possible. C’est une opportunité pour les fintechs de proposer ce type de solutions.

 

Si nous nous projetons dans les mois et les années à venir, prévoyez-vous d’enrichir l’offre actuelle en l’agrémentant de nouveaux services faisant appel à des nouvelles technologies comme l’IA ? Comment imaginez-vous le développement de Moka ?

Maxime Le Maître : Nos produits commercialisés au Canada utilisent déjà l’IA comme notre outil d’automatisation de remboursement de dettes optimisant le plan de remboursement. Nous prévoyons également d’ajouter des nouvelles fonctionnalités à l’offre française.

De plus, grâce à notre déploiement en France et à des partenariats avec des sociétés comme Treezor ou grâce à notre société de gestion d’actifs basée à Amsterdam, nous avons en notre possession tout le cadre juridique nécessaire pour un déploiement rapide et massif en Europe. Nous envisageons ainsi d’ici fin 2021 – début 2022 – de lancer Moka dans un nouveau pays frontalier à la France et ainsi se rapprocher davantage de notre ambition de devenir la première application d’épargne et d’investissement en France et en Europe.

Julien Maldonato : La gestion de l’épargne a notamment été améliorée grâce à l’IA qui a révolutionné l’industrie des systèmes financiers en permettant de proposer des solutions adaptées et personnalisées selon les besoins des consommateurs [5]. Par ailleurs, dans le domaine de l’épargne, l’IA est largement utilisée pour automatiser une partie de la gestion et ainsi maximiser les profits éventuels en choisissant le meilleur placement sans action de la part de l’épargnant ou d’un conseiller. L’intégration de l’IA aux services financiers est ainsi un important levier de différenciation pour les acteurs bancaires en repensant l’expérience utilisateur tout en minimisant leurs coûts par les gains financiers obtenus grâce à l’automatisation [6].