Lucie Muniesa (APE) : « l’Etat actionnaire n’est pas un gestionnaire d’actifs comme les autres »
Publié le 20 avril 2017
Horizon d’investissement, rotation du portefeuille, exigence en matière de politique RSE … Lucie Muniesa, directrice générale adjointe de l’Agence des participations de l’Etat (APE), présente la doctrine d’investissement de l’institution publique.
Pourquoi avez-vous choisi de revenir à l’Agence des participations de l’Etat après vos expériences à Radio France et au ministère de la Culture et de la Communication ?
Forte de 6 ans d’expériences de management public à travers les fonctions de direction que j’ai occupées tant au ministère de Culture et de la Communication que chez Radio France, j’ai décidé de revenir à l’APE, comme adjointe du Commissaire aux Participations de l’Etat, au service des missions de l’Etat actionnaire.
L’APE est un service à compétence nationale sous la responsabilité du Ministre de l’Economie et des Finances, avec une mission opérationnelle clairement définie. Sa taille (55 personnes), son organisation et la très grande qualité de ses équipes lui confèrent une agilité dans l’action publique. Elle a acquis une légitimité forte depuis sa création en 2004 et su développer une approche d’accompagnement exigeant des entreprises de son portefeuille. Ces éléments correspondent en tous points à ma vision de ce que doit être l’administration.
Quelle est la mission de l’Agence des participations de l’Etat (APE) ?
L’Etat cumule plusieurs casquettes dans ses relations avec les entreprises à participation publique : client, concédant, régulateur, porteur de politiques publiques… L’APE exerce la mission de l’Etat actionnaire dans les 81 groupes ou entreprises qui entrent dans son périmètre, soit un portefeuille de 90 Mds€ d’actifs en gestion, en veillant aux intérêts patrimoniaux de l’Etat. Le périmètre de ces entreprises est relativement large et hétérogène, tant par leur taille que par leurs secteurs d’activités (dans les domaines de l’énergie, des transports, de l’industrie, des services et finances).
L’APE regroupe des agents issus de la fonction publique mais aussi du secteur privé, dont l’action est rythmée par le temps de l’entreprise (échéances de gouvernance, projets stratégiques…).
L’APE accompagne les entreprises de son portefeuille en actionnaire de long terme, soucieux de leur performance durable au regard de critères financiers mais aussi extra- financiers. A cet égard, nous sommes soucieux que la responsabilité sociale, sociétale et environnementale (RSE) soit prise en compte dans leur stratégie.
Comment y veillez-vous ?
L’APE porte une attention particulière à ce que les entreprises dont elle est actionnaire déploient des politiques de RSE, s’appuyant sur les meilleures pratiques existantes, et qu’elles intègrent des indicateurs extra-financiers dans leurs outils de pilotage stratégique. Ces questions sont d’ailleurs de plus en plus évoquées dans les instances de gouvernance de nos entreprises.
L’APE réfléchit actuellement à la formalisation de cette approche dans la doctrine de l’Etat actionnaire.
Quelle est l’étendue des responsabilités de l’APE ?
L’APE propose des positions sur tous les sujets relevant des prérogatives de l’Etat actionnaire (stratégie des entreprises du portefeuille, désignation et rémunération de leurs dirigeants, comptes et information financière, politique de distribution des dividendes, gouvernance, évolution de leur capital…), en liaison avec l’ensemble des ministères et autres administrations chargés de définir et de mettre en œuvre les autres responsabilités de l’Etat. Une fois les positions arrêtées par le Ministre ou le Gouvernement, l’APE les met en œuvre.
L’APE gère aujourd’hui un portefeuille de 81 entreprises.
Quelle est la nature des relations entre l’APE et les autres institutions publiques de financement de l’économie ?
Trois grands acteurs publics interviennent en fonds propres dans l’économie française, outre l’APE : Bpifrance (dont l’APE détient la moitié du capital), la Caisse des dépôts et consignations et le Programme d’investissements d’avenir (PIA). Leurs doctrines d’investissement se complètent et sont coordonnées. Bpifrance, par exemple, concentre son action sur les TPE, les PME et les ETI, avec un horizon d’investissement de moyen terme.
Sur quels critères sont sélectionnés les dossiers suivis par l’APE ?
L’APE gère aujourd’hui un portefeuille de 81 entreprises. Ce portefeuille est à la fois un héritage historique qui a évolué dans le temps et se répartit aujourd’hui selon les 4 axes de la doctrine d’intervention de l’Etat actionnaire clarifiée début 2014.
Ainsi, les participations du portefeuille de l’APE sont présentes dans tous les secteurs de l’économie :
– Le premier axe correspond aux secteurs de souveraineté nationale, comme la défense et la filière nucléaire (Areva, EDF, Airbus, Safran, Thalès, DCNS,…) ;
– Le deuxième regroupe les infrastructures et grands opérateurs de service public dans les secteurs du transport, de l’énergie, des postes & télécoms, des ports et aéroports et des médias (Engie, Orange, La Poste, SNCF, RATP, ADP, Air France-KLM, grands ports et aéroports régionaux, France Télévisions…) ;
– Le troisième comprend les secteurs et filières stratégiques déterminantes pour la croissance économique nationale comme l’automobile (PSA, Renault) ;
– Le quatrième correspond aux secteurs présentant un risque systémique avéré pour l’économie nationale ou européenne comme le secteur financier (Dexia).
Ce portefeuille « respire » régulièrement. En 2016 par exemple, il a connu des mouvements de cession mais aussi d’acquisition : privatisation des aéroports de Nice et de Lyon, cession de blocs de Safran et d’Engie sur les marchés, réinvestissement dans Eramet… En 2017, des moyens importants seront consacrés à investir pour accompagner la filière nucléaire française (3 Mds€ pour EDF et 4,5 Mds€ pour Areva).
L’intervention de l’APE dans une entreprise génère-t-elle de la confiance vis-à-vis de ses parties prenantes ?
La présence de l’Etat au tour de table peut en effet être un facteur de confiance à deux titres.
Premièrement, le positionnement de l’APE consiste à accompagner les entreprises de son portefeuille dans leur développement en veillant à la cohérence de leur stratégie, à la qualité de la gouvernance et au respect des meilleures pratiques en matière de responsabilité sociale, sociétale et environnementale.
Deuxièmement, la présence de l’Etat, actionnaire de long terme, au capital des entreprises est un facteur de stabilité permettant de les accompagner par exemple lorsqu’elles doivent mener des transformations importantes de leurs modèles et dans les bas de cycle.
La qualité de la gouvernance des entreprises à participation publique est un point d’attention permanent pour l’APE, qui veille à incarner un actionnaire exigeant et responsable.
En quoi l’Etat se distingue-t-il de l’actionnariat privé en matière de gouvernance d’entreprise ?
La participation aux conseils d’administration et de surveillance des entreprises relevant de notre périmètre ainsi qu’à leurs comités spécialisés, est au cœur de notre action et nous y sommes très actifs. Ainsi, en 2015, les administrateurs représentant l’État, en liaison avec les directeurs et chargés de participation de l’Agence, ont concrètement participé à 340 conseils d’administration ou de surveillance en 2015 ainsi qu’à 380 comités spécialisés (audit, rémunération, stratégie, investissement, etc.).
La qualité de la gouvernance des entreprises à participation publique est un point d’attention permanent pour l’APE, qui veille à incarner un actionnaire exigeant et responsable. Une attention particulière est tout particulièrement donnée aux éléments suivants, déterminants pour le succès de l’entreprise à long terme : qualité des dirigeants et des processus de gestion des successions, qualité et cohérence de la stratégie, situation des comptes et la structure financière, qualité et diversité des administrateurs, respect des principes de bonne gouvernance, respect des principes de responsabilité sociale, sociétale et environnementale.
La stratégie de l’Etat en tant qu’actionnaire est-elle différente lorsqu’il intervient dans le cadre d’entreprises publiques versus détenues partiellement ?
Le rôle de l’Etat actionnaire est naturellement, comme pour tout actionnaire, adapté en fonction de son poids au capital puisque son influence réelle en dépend pour peser sur les grandes décisions (choix des dirigeants et leur rémunération, composition des instances de gouvernance, orientations stratégiques). Il veille dans tous les cas au respect des actionnaires minoritaires à ses côtés.
C’est la fréquence des échanges avec le management des entreprises, à chaque échelon de l’APE, qui permet d’entretenir la confiance.
Quelle est la fréquence de vos échanges avec le management de ces entreprises ?
Elle est quotidienne. C’est la fréquence de ces échanges, à chaque échelon de l’APE, qui permet d’entretenir la confiance. Cette relation directe est fondamentale mais nous veillons à ce qu’elle soit respectueuse des rôles respectifs d’actionnaire et de dirigeants.