Après trois années quasiment stables, les émissions de CO2 seraient reparties à la hausse, en augmentation de 2 % par rapport à l’année dernière, pour atteindre un record de 36,8 milliards de tonnes, relèvent les chercheurs du Global Carbon Project dans leur douzième rapport annuel. La Chine est à l’origine de cette hausse projetée. A elle seule, la deuxième économie mondiale est responsable de presque 30 % des émissions mondiales (10,2 Gigatonnes de CO2). Suivent les Etats-Unis (5,3 Gt), l’Inde (2,4 Gt), la Russie (1,6 Gt) et le Japon (1,2 Gt). La France pointe à la 19e place mondiale.

Les émissions de CO2 devraient reculer de 0,4 % aux Etats-Unis cette année, contre une baisse de 1,2 % en moyenne annuelle précédemment. Un ralentissement. Et les années qui viennent s’annoncent mal puisque, pour la première fois depuis cinq ans, la consommation de charbon va augmenter de 0,5 %, en raison des abrogations décidées par le président Trump.

La conclusion est simple : les Etats ne sont pas au rendez-vous. Ils ne suivent pas les objectifs qu’ils s’étaient donnés lors de l’accord de Paris sur le climat.

Mais tout n’est pas noir. Un certain nombre d’acteurs s’engagent pour démontrer que l’économie et l’écologie ne s’opposent pas mais, au contraire, vont de pair.

Le jury du prix Nobel s’est inscrit dans cette perspective sur le plan de l’économie académique. Il a pris le virage cette année en récompensant deux économistes, Paul Romer et William Nordhaus, dont les analyses, différentes mais connexes, permettent d’avancer dans la recherche d’un « modèle » qui unit l’environnement et l’économie. Pour Romer, le progrès technique est un moteur « endogène » parce que les firmes investissent dans la R&D pour prendre un avantage d’échelle, de productivité, sur les autres. Il montre les conditions (notamment sur la question des brevets) sous lesquelles la technologie peut se diffuser aux autres firmes et dynamiser la croissance. Très précurseur, Nordhaus travaille dès les années 1970 sur les externalités négatives de la croissance, mais il se démarque du Club de Rome pour qui l’épuisement des ressources de la planète était inéluctable. L’épuisement n’aura pas eu lieu, disait Nordhaus au contraire. La courbe toujours croissante de production de pétrole lui donne raison. Mais le problème des pollutions, soulignait le futur Nobel, est quant à lui réel, en particulier l’émission de gaz à effet de serre.

Comment faire ? Le lauréat estime possible d’écarter la solution négative, malthusienne, celle d’une réduction de la croissance, en réorientant cette croissance grâce à la technologie et à des politiques publiques d’encouragement à l’innovation. Les deux prix se complètent : Romer nous dit que la technologie contre le réchauffement climatique va émerger du système économique lui-même, Nordhaus nous dit comment l’Etat doit y aider : par exemple en subventionnant les technologies de rupture puis, une fois qu’elles sont à disposition sur le marché, mais seulement alors, taxer les anciennes méthodes polluantes.

Les banques centrales s’inscrivent elles-aussi dans ce cadre du mariage désiré entre l’écologie et l’économie, en l’occurrence la finance. Au Sommet de Paris, des banques centrales, la banque mondiale, des organismes de surveillance (huit membres devenus dix-neuf aujourd’hui) se sont réunis au sein du NGFS (Network for Greening the Financial System) à partir du constat que le climat pouvait provoquer de gros risques financiers et monétaires et qu’il fallait les prévenir. L’initiative est salutaire, la monnaie d’un pays peut être mise à mal et, plus largement, le système financier mondial peut devenir très instable avec l’évolution rapide des températures et l’occurrence d’événements incontrôlés. Le devoir des autorités monétaires est de veiller à prévenir ces risques.

L’affaire n’est pas simple étant donné que rien n’existe, ni le corpus théorique, ni la méthode, que le futur est très incertain et que les différentes hypothèses des climatologues sont très écartées. Il faut construire un champ analytique et prudentiel à partir d’une feuille presque blanche. L’une des grandes difficultés sera d’inventer une façon d’obtenir les informations des banques et des acteurs financiers (des bonus/malus ?). Puis il faudra élaborer des scénarios (sur 20 ans, sur 50 ans) et monter des tests de résistance.

Une première réunion du NGFS s’est tenue début octobre en marge des réunions annuelles du FMI et de la Banque Mondiale à Bali pour fixer la méthode de travail et l’agenda. Un premier rapport est attendu pour le 17 avril 2019. Le sentiment est à l’urgence, la mobilisation est un peu disparate mais la diversité des membres promet de la fécondité, la recension des travaux existants a été confiée par exemple à la Task Force du couple formé par le China Green Finance Committee et la ville de Londres.

Le but des banques centrales est d’intégrer le risque climatique dans la finance afin de l’abaisser. Mais il est aussi en parallèle d’aider à faire grandir la finance verte. Les climatologues du GIEC évoquent (avec une grande prudence) le coût de la transition climatique à 9 000 milliards de dollars dans l’hypothèse d’une limitation à 2° C de l’élévation de la température terrestre. La somme n’est pas hors de portée, le Green Funding atteindrait aujourd’hui un stock de 1000 milliards de dollars. La question non réglée est celle de la labélisation. Les banques centrales considérant qu’il s’agit du rôle du privé mais, faute d’un agent régulateur, on constate une profusion anarchique des labels qui mine la confiance.

Une économie où l’écologie est endogène, voilà l’objectif commun !