Un millième de centimètre. Un millième de seconde. C’est ce qui sépare aujourd’hui un athlète de la victoire ou de la défaite. Art de la précision, discipline ultra-exigeante aux enjeux économiques parfois démesurés, le sport de haut niveau recherche sans cesse de nouvelles voies pour améliorer ses performances, battre ses propres records et s’approcher toujours plus près d’une certaine forme de perfection. Une quête du dépassement qui a pris une dimension inédite ces dernières années avec l’avènement de l’internet des Objets (IOT) et le développement des technologies d’analyse Big Data. Décryptage de cette « nouvelle donne » qui révolutionne en profondeur le monde du sport.

Data : de quoi parle-t-on ?

De nouvelles données issues des objets connectés ont fait leur apparition, permettant de tout savoir ou presque sur la performance et la condition physique des sportifs en temps réel. La Mannschaft a ainsi équipé ses joueurs de capteurs biométriques placés sur leurs chaussures, communiquant des informations sur les distances parcourues, les accélérations, les décélérations ou encore le rythme cardiaque. La ligue de football américaine utilise également des capteurs intégrés à l’équipement de ses joueurs pour connaître la vitesse des courses, les passes réussies ou encore le positionnement de chaque membre de l’équipe sur le terrain. En boxe, une startup a conçu des gants connectés enregistrant la vitesse, la puissance, l’angle et la direction de la frappe. Lors de la coupe de l’America de 2013, l’Oracle Team USA s’est appuyée sur les données transmises par 300 capteurs et 5 caméras embarquées dans le navire et dans les hélicoptères : au total, 200 Go de données par jour étaient collectées, centralisées et interprétées. La révolution, c’est donc la déferlante de ces milliards de données « nouvelle génération », émises par la technologie connectée, et auxquelles commencent à s’intéresser toutes les disciplines sportives, collectives comme individuelles.

 

Pourquoi un tel engouement ?

Si les acteurs du sport s’intéressent de plus en plus à la Data, c’est parce qu’ils en mesurent progressivement la portée et l’incroyable potentiel : croisées à d’autres informations issues de sources diverses – staff médical, staff technique, enregistrements vidéos, open data etc. –, ces données sont en effet capables d’améliorer significativement les performances et de porter le sport à un niveau encore jamais atteint.

Les informations collectées avant, pendant et après un match de football par exemple, permettent d’affiner les schémas tactiques, de comprendre comment l’équipe réagit aux mouvements adverses, d’analyser les conséquences de la fatigue sur le comportement d’un joueur, d’aider l’entraîneur à adapter la tactique à la mi-temps ou à choisir quel joueur faire sortir et à quel moment. La Data est également un allié précieux pour repérer des joueurs à haut potentiel dans un centre de formation – on ne se fie plus seulement à son intuition mais à des données neutres et comparables – ou encore pour évaluer de manière « objective » la valeur d’un joueur en phase de recrutement. Elle permet par ailleurs de protéger la santé et la sécurité des sportifs. Certaines équipes de football américain utilisent des capteurs placés dans le casque des joueurs pour prévenir les risques de commotions cérébrales. La société Mac-Lloyd, quant à elle, analyse en direct l’état physique des joueurs grâce à des capteurs placés sur leur dos, pour prévenir des éventuelles blessures et personnaliser les charges de travail.

L’intérêt croissant porté à la Data par le monde du sport – on peut même parler de véritable « course à l’armement » pour certains clubs qui investissent massivement dans ces nouvelles technologies de pointe –, trouve donc son explication dans le vaste éventail de possibilités que celle-ci représente sur le plan de la performance sportive. Et qui dit performance sportive dit bien sûr… performance économique ! Car dans un contexte de compétition accrue et d’objectifs ambitieux, le succès sportif est aujourd’hui un atout primordial, étroitement lié à la réussite globale d’une organisation…

La donnée, oui mais… encore faut-il savoir l’analyser !

Tous les clubs et toutes les fédérations peuvent désormais s’équiper de technologies connectées et avoir accès à la précieuse donnée qu’elle délivre. Mais là n’est plus l’essentiel. Car la Data n’est pas une fin en soi, et elle n’a de raison d’être que si elle est utilisée intelligemment, autrement dit interprétée et analysée selon des objectifs personnalisés.

En combinant les dernières technologies de la Data (connectivités, stockages, interfaces, analytics…), il est désormais possible de centraliser les données collectées, de les croiser avec d’autres types d’informations issues de différentes sources, et finalement de les faire « parler ». L’objectif est de produire des analyses multi-critères, mêlant données individuelles et collectives. La construction d’un SI adapté est donc un passage obligé pour les organisations désireuses d’exploiter la Data. Ces systèmes doivent être suffisamment flexibles et évolutifs pour pouvoir s’adapter aux technologies futures, tout en capitalisant sur les analyses existantes, et pour répondre aux besoins spécifiques de chaque équipe. Ils doivent être également parfaitement sécurisés : les informations tactiques et les informations sur les athlètes doivent être protégées, surtout dans un contexte règlementaire qui se durcit sur le plan de la protection des données personnelles (GDPR).

 

De grands clubs ou fédération sportives ont déjà choisi cette approche. Saracens, club anglais de rugby, en est une bonne illustration : selon son Directeur de la performance Phil Morrow, « cette approche permet d’interpréter la performance d’une manière qui était la meilleure pour notre équipe ». Cette exploitation efficace de la donnée a joué un rôle central dans la succes story qu’est en train de vivre le club depuis plusieurs saisons (Saracens s’est imposée en coupe d’Europe en 2016).

Mais la technologie, bien sûr, ne fait pas tout. Les changements doivent s’opérer également humainement, sur le plan des compétences et des mentalités. Les entraîneurs auront besoin de se former à l’analyse de la donnée et d’être accompagnés de professionnels de la Data (Data scientists) pour centraliser les données et les rendre exploitables.

Si les sports collectifs à gros moyens et les clubs des pays anglo-saxons sont pour l’instant les plus avancés dans l’exploitation de la Data, il ne fait aucun doute que le monde du sport dans son ensemble est entré dans une nouvelle ère avec l’avènement de l’IOT. Désormais, les performances individuelles et collectives ne sont donc plus seulement fonction des capacités techniques et physiques des athlètes : elles dépendent aussi de la capacité des professionnels du sport, en coulisses, à collecter et analyser des quantités vertigineuses d’informations. Avec à la clé, l’espoir de repousser encore un peu plus loin les frontières du « possible » sportif.