Que devient le cycle américain des affaires, horloge mondiale de la finance ?
Publié le 01 juin 2016
La finance est mondiale, bien sûr. Elle réagit en temps réel, bien sûr. Mais elle a un centre : les Etats-Unis. C’est là que l’essentiel des informations se concentre, se pèse, se compare, s’analyse et se diffuse. Bien sûr, ce système n’est pas parfait. Il a un biais américain évident, passe d’une inquiétude à une autre, sans trop se soucier de vérifier les données, et moins encore de cohérence, quand il saute d’une angoisse à l’autre. Il est vrai, pour sa défense, qu’il a beaucoup à faire.
Et que nous dit donc aujourd’hui cette finance mondiale, en direct de New-York ? Elle nous dit que la situation s’améliore aux Etats-Unis, mais que ça l’inquiète. Elle ajoute que cette croissance, qui avait alarmé en début d’année, tant elle était molle, se renforce, ce qui n’est pas mieux. Elle passe ainsi de 0,8 % annualisé au premier trimestre pour le PIB (0,2 % d’un trimestre à l’autre) à 1,7 % au deuxième (annualisé) et un peu plus ensuite. En termes annuels, la finance nous dit que nous allons de 1,3 % de croissance en 2013 à 2,4 % en 2014 en 2015, puis vers 1,8 % en 2016, avant une estimation qui varie entre 2,2 et 2,4 % pour 2017. Tout cela semble plutôt positif. On peut donc se demander d’où vient cette variation d’alarmes, entre une croissance trop faible et une croissance qui se renforce. La réponse de la finance est simple : trop peu de croissance, la déflation menace ; un peu plus de croissance, et c’est l’inflation qui arrive !
C’est effectivement simple. D’autant que l’essentiel n’est pas là. L’essentiel, c’est la nouvelle forme de ce cycle. Voilà 84 mois en effet que la reprise a commencé aux Etats-Unis, ce qui en fait une des plus longues (une des plus vieilles ?) de l’après-guerre. Elle n’est actuellement dépassée que par trois reprises : celle de 1982-1990 (90 mois), celle de 1961-1969 (105 mois) et celle de 1991-2001 (120 mois). Si la reprise américaine se poursuit encore trois ans, elle battra le record de longévité ! Et, de fait, la probabilité d’une récession en 2017, si elle monte, reste modeste : 26 %.
Pourquoi donc s’inquiéter, si tout va aussi bien depuis si longtemps ? Parce que ce n’est pas normal. La reprise en cours s’avère longue, c’est bien. Elle n’a jamais beaucoup rebondi après la récession, c’est bizarre. Elle est en plein emploi depuis des mois, avec un salaire médian des employés qui augmente de 3,4 % sur un an, c’est bien peu, et une inflation à 2 % (hors pétrole et produits volatiles), c’est incompréhensible !
En fait, un cycle nouveau est en train de naître aux Etats-Unis, celui de l’après grande crise et celui de la révolution technologique. Cette révolution a détruit beaucoup d’emplois industriels classiques. Elle pèse beaucoup sur les hauts salaires de la finance, et les nouveaux emplois créés sont ceux d’informaticiens et plus encore de services de proximité, sans excès salarial donc. C’est donc un nouveau cycle de salaires et d’emploi qui est à l’œuvre, donc un nouveau cycle d’inflation.
Voilà pourquoi les marchés financiers s’inquiètent tant des hausses de taux d’intérêt de la Fed. D‘abord, une hausse des taux en juin ou juillet, peut-être une autre en décembre, peuvent affaiblir la croissance, faisant surtout monter le dollar. Alors, la récession se rapprocherait. Disons 2018. Mais alors, les taux de la Fed seraient à 2 % ! C’est bien pourquoi l’obsession est si forte, devant les risques de hausse des taux, par manque de munitions monétaires classiques en cas de récession. L’obsession est forte parce que les taux ne le seront pas ! C’est pourquoi Janet Yellen a dit à un membre du Congrès qui s’inquiétait que, si nécessaire, elle n’excluait pas des taux négatifs ! Et, comme elle est prudente, elle ajoute qu’il s’agit là d’un cas extrême, et que la Fed a nombre d’autres outils à sa disposition avant celui-là. Bien sûr !
En fait, la Fed avance dans l’inconnu. Prudemment, elle se dit data dependant, pour passer pour pragmatique et cacher ainsi son trouble analytique. Toute sa stratégie est de jouer les prolongations sans décrire le nouveau monde vers lequel elle « guide », avec son nouveau cycle. Elle se souvient amèrement des effets de la « nouvelle ère ». Décrite, financée, permise, par Alan Greenspan, elle avait contribué à cette crise mondiale. Oui, il y a un nouveau cycle et une nouvelle économie, mais il est trop tôt pour en parler dit-elle. On verra avec la future récession américaine, et rien ne presse !
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