Volatilité sur les marchés, causes de la crise de 2008, limites de la transparence : Ramon Fernandez, Directeur général délégué d’Orange et ancien directeur du Trésor, livre son point de vue sur les rapports qui lient confiance et activité économique.

Vous avez été Directeur du Trésor de 2009 à 2014. Quelle est, selon vous, l’importance de la confiance envers les institutions économiques ?

En matière financière, la confiance est évidemment un élément absolument fondamental. La crise que nous avons vécue à la fin des années 2000, comme les crises qui l’ont précédée, sont souvent accélérées ou interrompues par un facteur confiance, même si des fondamentaux sont à leur origine. En 2009 et 2010, ce qui a contribué à créer une crise extrêmement violente, c’est avant tout la brutalité de la perte de confiance. Cette perte de confiance concernait le système bancaire de certains pays, mais aussi la capacité des gouvernements et des banques centrales à prendre les bonnes décisions, voire la capacité des systèmes décisionnels institutionnels de fonctionner de manière efficace.

 

Chacun a sa part de responsabilité dans la crise de 2008 : les acteurs privés, mais aussi les acteurs chargés de la supervision et de la régulation.

 

La confiance est donc un facteur absolument clé. C’est d’ailleurs le seul point qui permet de comprendre pourquoi l’on observe une telle volatilité sur les marchés. Par exemple, aucune raison objective ne justifie les écarts de plusieurs centaines de points de base sur l’évolution des dettes souveraines de certains Etats de la zone euro sur des périodes de quelques mois. Les fondamentaux ne changent pas à ce point sur une période aussi courte. C’est également ce facteur de confiance qui est absolument déterminant dans les phénomènes de « runs » sur les banques comme on a pu en connaître, dans les banques retail comme au Royaume-Uni, ou les banques de marché aux Etats-Unis.

Peut-on lier la crise de 2008 à une notion de déresponsabilisation d’une partie de la classe financière ?

Je pense que le problème est plus complexe. Plutôt que pointer un seul acteur, je pense qu’il faut s’attacher au système, à sa sécurité dans son ensemble. Je crois que cette situation a trouvé son origine dans une crise de confiance envers les politiques publiques dans certains pays. Pour d’autres pays, il s’agissait plutôt d’une crise de confiance dans le secteur privé, et notamment dans les comportements du secteur financier qui étaient devenus déraisonnables. Pour autant, les observateurs ne les avaient pas identifiés comme étant des facteurs de risques particuliers. Je pense que les responsabilités sont partagées. Chacun y a sa part : les acteurs privés, mais aussi les acteurs chargés de la supervision et de la régulation, qui manifestement n’avaient pas assumé complètement leurs responsabilités.

Peut-on se reposer seulement sur la réglementation pour éviter ce type de crise ? 

Je pense que l’on ne peut pas se reposer uniquement sur la réglementation. Il faut bien sûr des règles claires, lisibles, et suffisamment simples pour être comprises et vérifiées. C’est la première étape. La crise de 2008 a d’ailleurs conduit au renforcement de la réglementation, notamment sur le plan de la surveillance du secteur financier et des politiques publiques. En Europe, certaines règles de contrôle des déficits ou des dettes publiques ont par exemple été significativement renforcées, ce qui était nécessaire. Lorsque l’on partage une monnaie commune, on doit aussi partager une discipline qui repose sur des règles. Mais ces règles ne suffisent pas. Elles ne peuvent offrir qu’un confort de façade. Elles ne doivent pas conduire à déresponsabiliser ceux qui sont aux commandes. Les acteurs doivent eux-mêmes s’approprier certains comportements éthiques.

 

Tout le monde sait que la France est un pays dans lequel le niveau de confiance est trop faible.

 

De leur côté, les autorités chargées de la supervision doivent assumer leurs obligations. L’une des origines de la crise de la fin des années 2000, c’est que quelques autorités chargées de la supervision s’étaient un peu endormies, bercées par l’illusion qu’un certain nombre de règles suffirait pour échapper aux crises. Or, les crises viennent toujours des endroits où l’on ne les attend pas. Le superviseur doit donc à la fois pouvoir s’appuyer sur les règles, mais aussi être vigilant pour identifier des risques qui n’avaient pas été anticipés. On rate toujours la crise d’après. Dans de nombreux secteurs, les gouvernements et les acteurs de la vie économique ont cherché depuis 2008 à renforcer ce qui peut mettre le superviseur en capacité d’agir plus en amont.

Comment qualifieriez-vous le niveau de confiance actuel en France ?

D’une manière générale, je pense que la confiance dans nos différentes organisations, que ce soit au sein du pays ou des entreprises, est un élément vital de bonne santé économique et d’épanouissement de ceux qui vivent dans ces différentes entités. Tout le monde sait que la France est un pays dans lequel le niveau de confiance est trop faible. A tous les niveaux, il est impératif d’essayer de lutter contre ce sentiment de défiance qui trop souvent nous habite. Il faut construire les leviers de cette confiance. Beaucoup d’initiatives sont engagées, et le groupe Orange y participe avec des acteurs comme RAISE ou l’Institut Montaigne. Tout ce que l’on pourra faire pour essayer de retrouver cet élément de confiance est important. C’est un facteur immatériel, un actif que l’on ne sait pas quantifier mais qui joue un rôle absolument essentiel et qui permet d’expliquer la croissance.

La transparence peut-elle permettre aux acteurs économiques de gagner la confiance du public ? 

La transparence est bien sûr utile. Au cours des années passées, beaucoup de progrès ont été réalisés à tous les niveaux dans ce domaine. Il faut de la transparence sur les questions essentielles, notamment en ce qui concerne l’éthique ou la conformité aux lois. Dans le même temps, je pense qu’il faut éviter la religion de la transparence permanente sur tous les sujets. Il y a un certain nombre d’informations qui touchent au secret des affaires et qui doivent pouvoir bénéficier de la confidentialité nécessaire à leur bonne gestion au sein des entreprises. Il faut des régimes juridiques qui peuvent fixer un certain nombre de limites à des situations qui reviennent sinon à divulguer la totalité des informations stratégiques liées à la conduite d’une entreprise auprès de concurrents qui ne seraient pas assujettis aux mêmes obligations.

Vous étiez directeur du Trésor lorsque la France a perdu, en 2012, sa notation « triple A ». Quel regard portez-vous sur le rôle des agences de notation dans la construction de la confiance entre les Etats et leurs créanciers ?

J’ai un jugement nuancé sur les agences de notation. Elles font partie des acteurs qui permettent d’avoir un regard extérieur sur la situation des gouvernements ou des entreprises. Elles ont été très critiquées parce qu’elles agissent le plus souvent de manière procyclique. Lorsque l’on s’intéresse à la rapidité avec laquelle elles dégradent des entreprises ou des Etats souverains, des questions peuvent se poser. On a vu Enron en 2000-2001 passer brutalement du statut d’entreprise très bien notée à une situation de faillite. On a observé des mouvements similaires avec de grands Etats de la zone euro, comme l’Espagne, qui a vu sa note dégringoler de 7 crans en l’espace de quelques mois.

Il ne faut pas accorder une importance excessive au regard des agences de notation, mais il faut bien reconnaître qu’elles font partie des seuls observateurs externes qui ont accès à ce niveau d’information et qui donnent ce type de regard sur des acteurs économiques. La réglementation elle-même, de fait, consacre le rôle prédominant qui leur est donné. C’est la note de ces agences qui est prise en compte dans les pondérations des différentes autorités de contrôle, en matière bancaire ou d’assurance. Idem pour un groupe comme Orange : la notation qui est donnée à nos contreparties bancaires est l’un des éléments déterminants pour décider ou non d’engager une relation d’affaires avec ces différents acteurs.

Y a-t-il des solutions pour éviter que ces agences ne jouent un rôle trop procyclique ?

Il faut qu’il y ait des contrepoids. De ce point de vue, c’est à la réglementation d’éviter ce rôle procyclique. Sauf erreur, il n’y a pas eu de succès gigantesques dans la tentative d’atténuer cette procyclicité. Personne n’a encore trouvé mieux que le système actuel. On pourrait citer Churchill lorsqu’il disait que la démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres. La situation est un peu similaire en ce qui concerne les agences de notation. Là aussi, il faudrait que ceux qui sont chargés de la supervision et de la régulation puissent ne pas se reposer exclusivement sur les agences de notation dans leur appréciation de la solidité des différentes contreparties qu’elles doivent surveiller. C’est une responsabilité qui devrait être mieux partagée. L’agence de notation est le confort de celui qui ne peut pas faire un effort d’investigation ou de compréhension plus poussé.

Retrouvez aussi la première partie de notre entretien avec Ramon Fernandez sur la valeur dans le secteur des télécommunications.