Des taux courts américains à 3%, pas à 0,7% ?

Mais ce serait une explosion mondiale ! C’est pourtant le résultat que donne la Federal Reserve d’Atlanta dans une page de son site sur « l’équation de Taylor » ! Le calcul est tout fait, selon la relation suivante :

Fed funds = « taux naturel » + objectif d’inflation + 1,5 (écart d’inflation) + 0,5 (écart de production) = 3% !

Le Graal ? De quoi s’agit-il, avec cette équation ? De trouver, pour la banque centrale américaine, le taux d’intérêt à court terme (Fed funds) qui permet le plus de croissance non inflationniste possible. Plus précisément, pour équilibrer la croissance, le point de départ est le « taux naturel », plus l’objectif d’inflation. Ce « taux naturel » équilibre l’offre et la demande américaine sur longue période : il est estimé à 2%. Et l’objectif d’inflation, aux Etats-Unis comme partout, est fixé à 2%. Donc, si l’économie « tourne » bien, les taux courts doivent être à 4% : 2% + 2% !

Mais l’économie peut être en surchauffe. Il faut alors que les taux courts dépassent 4%, pour la « calmer ». Ou bien elle peut être en sous capacité, et les taux courts doivent être inférieurs à 4%. Pour la régler au mieux, il faut donc agir sur « l’écart d’inflation » et sur « l’écart de production », en plus ou en moins, à partir de ces 4%.

« L’écart d’inflation », à réduire autant que possible, est l’écart entre l’inflation sous-jacente (hors produits frais et énergie) et l’objectif d’inflation (2%). « L’écart de production », à réduire lui-aussi autant que possible, est l’écart entre la production atteinte (le PIB du trimestre) et la production possible (le PIB obtenu si les capacités de production sont entièrement utilisées, sans inflation supérieure à 2%).

On a donc, pour les Fed funds actuellement souhaitables aux USA :

Fed funds = 2% + 2% + 1,5 (1,5% – 2%) + 0,5 (-0,44%) = 3 %

En effet, l’inflation américaine sous-jacente est actuellement de 1,5%, et l’écart de production de -0,44%, autrement dit l’économie américaine pourrait croître de 0,44% de plus. Il y a donc « du mou » (du slack), à la fois pour l’inflation et pour l’activité, même si le taux de chômage est à 4,3% ! Comment comprendre ce qui se passe ? Comment comprendre ce que fait la Fed, avec des taux si bas par rapport à « la règle » ? Et comment comprendre qu’il n’y ait pas plus d’inflation, avec un chômage si faible ?

Alors, comment avancer ? En augmentant lentement les taux, nous dit la Fed, pour ramener graduellement vers l’emploi ceux qui en ont été exclus ou sont inquiets d’y revenir, essentiellement à la suite de la Grande récession de 2008 et de la Révolution technologique en cours. La Fed déploie ainsi une pédagogie de remontée graduelle des taux courts par un pilotage serré des anticipations (forward guidance). Elle veut le plus haut niveau de croissance et d’emploi non inflationniste, mais avec le moins de chocs possible. Elle veut donner du temps aux entreprises et aux salariés, pour embaucher, former, augmenter les salaires. Pas facile, pas immédiat.

Il faut avancer plus vite, disent les Républicains. Il faut fermement mobiliser les chômeurs et attirer vers l’emploi les personnes qui s’en sont détournées : chômeurs de longue durée, mères au foyer, sans oublier les « faux chômeurs » ou les « faux malades » ! Baisses des dépenses publiques et des aides sociales vont « aider » : ce sont les coupes budgétaires en discussion au Congrès. Pas doux, plus rapide.

« L’équation de Taylor » marque alors le rattrapage de taux que doit faire la Fed. Il s’agit d’éviter que les entreprises et les ménages ne « s’endorment » sur ces taux trop bas, avec des risques de bulle d’un côté et d’une économie sous-efficace de l’autre. Alors : forward guidance, en allant lentement dans la hausse des taux avec la Fed actuelle, ou « équation de Taylor », qui fera à changer plus vite de comportement, sous la pression des taux ?

Cette question n’est pas théorique. Selon le Wall Street Journal, Marvin Goodfriend (Professeur à l’Université Carnegie Mellon) et Randal Quarles (Vice-Président d’une société d’investissement à Salt Lake City, Cyanose Group) seraient pressentis pour entrer à la Fed comme Gouverneurs, le deuxième pour traiter de la régulation financière où une expertise bancaire et financière est requise. Deux postes, sachant que trois sont libres, et que ces deux candidats ont déclaré qu’ils étaient favorables à ce que la Fed s’inspire d’une règle ! Attendons donc plus de bruits et de discussions à la Fed, des taux d’intérêts plus hauts et un dollar plus fort, avec plus de volatilité.

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Fondateur de Betbeze Conseil SAS, Professeur de Faculté en Sciences économiques, Jean-Paul Betbeze a été Chef Economiste du Crédit Lyonnais en 1989 puis du Crédit Agricole (et membre de son Comité exécutif) jusqu’en 2013. Ancien membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et de la Commission Economique de la Nation, il est membre du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Auteur de nombreux ouvrages et rapports, il a rejoint le cabinet en avril 2013 en tant qu’Economic Advisor pour apporter son regard d’expert en analyse économique, conjoncturelle et financière.

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