Bertin Nahum est le Président et fondateur de la société Medtech, spécialisée dans les robots d’assistance à la chirurgie. Il évoque l’enjeu de la confiance dans le domaine médical.

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous positionner sur le secteur de la robotique chirurgicale lorsque vous avez fondé Medtech ?

Ingénieur de formation, c’est lors d’un projet de fin d’études à l’Institut National des Sciences Appliquées de Lyon que j’ai découvert le secteur de la santé. Ce fut une révélation pour moi, et cette expérience m’a poussé à mettre mes compétences d’ingénieur dans ce secteur. J’ai débuté ma carrière dans une start-up grenobloise au milieu des années 90, puis j’ai travaillé pour de grands groupes, français et américains, toujours dans le domaine de la robotique chirurgicale. En 2001, j’ai démissionné de mon dernier emploi pour créer Medtech en 2002. La société  développe un premier robot, Brigit, pour la réalisation de la chirurgie du genou. L’ensemble du portefeuille de brevets qui protège cette technologie a été racheté en 2006 par le groupe américain Zimmer. Medtech décide de développer un nouveau robot d’assistance à la neurochirurgie : Rosa Brain. En 2012, Medtech étend son champ d’application sur l’ensemble du système nerveux avec un nouveau dispositif d’assistance à la chirurgie de la colonne vertébrale : Rosa Spine.

Quels sont les bénéfices de la solution que vous proposez pour le patient ? Pour le chirurgien ? Pour l’hôpital ?

Cette technologie s’inscrit dans une tendance extrêmement forte. On constate que la chirurgie moderne, les hôpitaux, et le secteur de la santé d’une façon générale, sont confrontés à des challenges nouveaux. Ils sont le fruit de certaines réalités démographiques et économiques, et des nouvelles aspirations des patients. Comme on le sait, les populations vieillissent. C’est la conséquence heureuse de l’allongement de l’espérance de vie. La résultante est que les hôpitaux ont de plus en plus de patients à traiter. Face à cet afflux, on a également une exigence de la part des patients pour une très haute qualité de soins.

 

Il y a une compréhension générale sur le fait que ces machines ont vocation in fine à ce que les patients soient traités de façon plus efficace. A mon niveau, je n’observe pas de méfiance du public mais plutôt une certaine bienveillance.

 

Ce qu’on appelle l’aléa médical est de moins en moins toléré. On constate d’ailleurs qu’il y a de plus en plus de procès lorsqu’une opération n’a pas été réalisée correctement. On assiste aussi à une autre tendance forte dans toutes les spécialités chirurgicales : la montée en puissance de la chirurgie mini-invasive. Celle-ci vise pour les chirurgiens à effectuer des opérations précises et sensibles via des incisions toujours plus réduites. Au-delà des bénéfices esthétiques d’une petite incision, il y a une série d’avantages à cette forme de chirurgie : des traitements plus sûrs et efficaces, des risques d’infection atténués, des saignements moindres, un temps de récupération et un retour à la vie normale beaucoup plus rapides… Les technologies modernes et la robotique répondent à l’ensemble de ces challenges.

Avez-vous rencontré des réticences quant au fait de faire intervenir des robots au sein du cerveau humain ? De la part des chirurgiens ou des patients ?

La chirurgie n’est pas une science exacte. Elle est composée de pratiques elles-mêmes basées sur l’expérience. Naturellement, lorsqu’on arrive avec une technologie différente, on a de la part des chirurgiens un réflexe conservateur. Ce frein est tout à fait légitime. C’est à nous de démontrer les bénéfices de ces technologies. Lorsque nous le faisons, on bascule dans une autre situation. Ce sont alors les patients eux-mêmes qui demandent à bénéficier de ces technologies.

Vos clients sont des hôpitaux. Quels sont les leviers qui permettent d’acquérir leur confiance ?

Le client est l’hôpital, mais le prescripteur est le chirurgien lui-même. Dans la démarche de commercialisation, c’est sur lui que se porte l’essentiel de l’effort. Comme je l’ai dit, il a été habitué à faire d’une certaine façon. Il faut donc le convaincre que notre technologie apporte un bénéfice pour lui. Puis, avec son aide, nous essayons de convaincre l’hôpital d’effectuer une telle acquisition. Un robot Rosa coûte environ 400 000 euros.

Vous avez fondé Medtech en 2002. Sur les 13 dernières années, comment la confiance du public envers votre secteur d’activité a-t-elle évolué selon vous ?

Je constate aujourd’hui une vraie compréhension, même si les choses prennent toujours un peu de temps. Je voudrais rappeler quelques chiffres sur le secteur de la robotique chirurgicale : il représente aujourd’hui un chiffre d’affaires total de 3 milliards de dollars et devrait atteindre 20 milliards d’ici 2020 selon certaines estimations. Très peu de sociétés sont actives dans ce domaine. Et pour cause : il faut non seulement avoir les compétences nécessaires pour concevoir les robots, mais aussi pour obtenir les certifications réglementaires. Il faut aussi montrer sa capacité à introduire un nouvel outil dans le bloc opératoire. Moins d’une dizaine d’entreprises ont ce track record complet au niveau mondial. La plupart de ces sociétés sont nord-américaines, Medtech est une des seules sociétés en Europe. La société pionnière, la chef de file de ce secteur, est Intuitive Surgical, qui développe le robot Da Vinci. Elle réalise 3 milliards de dollars de chiffre d’affaires avec un seul et même robot. Ce succès fulgurant s’explique notamment parce que les patients demandent eux-mêmes d’être opérés par ce robot. Les hôpitaux ont quasiment été contraints de s’équiper pour répondre à cette exigence.

Certains secteurs technologiques font face à la défiance du public. Est-ce le cas de la robotique chirurgicale ?

Je ne pense pas que notre secteur soit en proie à la méfiance du grand public, comme cela peut être le cas dans d’autres domaines. Il y a une compréhension générale sur le fait que ces machines ont vocation in fine à ce que les patients soient traités de façon plus efficace. A mon niveau, je n’observe pas de méfiance du public mais plutôt une certaine bienveillance.

Peut-on imaginer, dans les années à venir, que la robotique finisse par remplacer le chirurgien pour certaines procédures ?

Je ne pense pas qu’il en soit question. On parle bien ici de technologie d’assistance. La meilleure comparaison qu’on peut faire est celle du pilote d’avion. Il est entouré d’une multitude d’outils d’assistance de navigation qui ont vocation à fiabiliser au maximum son pilotage. Mais en aucun cas ces outils n’ont vocation à le remplacer, tout simplement parce qu’on aura toujours besoin de la réactivité de l’expert, de l’être humain, pour faire face à la spécificité de certaines situations. Notre technologie Rosa vise à sécuriser, fiabiliser l’acte chirurgical, mais pas à remplacer le chirurgien. Rosa fonctionne comme un GPS qui, conformément à la planification réalisée au préalable,  guide la main du chirurgien pour qu’il puisse atteindre avec précision la zone à opérer.

Vous avez récemment signé un emprunt obligataire de 15 millions d’euros avec Ally Bridge Group. Est-il plus facile d’obtenir la confiance de vos clients, ou celle des investisseurs ?

Nous avons reçu un accueil très positif de la part des chirurgiens depuis la création de la société. En revanche, il a été plus difficile de convaincre les investisseurs du bien fondé de notre démarche. Ce qui explique pourquoi la société a vécu les 8 premières années de sa vie sans lever un seul euro de capital auprès d’investisseurs, ce qui est extrêmement rare dans notre secteur.

 

Il serait préjudiciable que les organismes certificateurs ne fassent pas leur travail et qu’ils laissent des technologies insuffisamment abouties ou fiables intervenir sur le corps humain. Le risque serait de provoquer des accidents extrêmement graves pour le patient et qui finiraient par rejaillir sur l’ensemble du secteur.

 

Comment l’expliquez-vous ?

Peut-être n’avons-nous pas été suffisamment efficaces dans l’explication de ce que nous faisions. Par ailleurs, même si on commence  à prendre conscience du potentiel de notre secteur et de la prépondérance qu’il va prendre dans la chirurgie dans les années à venir, c’est un phénomène assez récent. La troisième piste d’explication est le fait que nous sommes la seule société européenne dans un marché nord-américain. Il n’est pas anodin de constater que ce financement a été fait auprès d’un fond américano-hong kongais. Nous sommes contraints d’aller chercher les financements hors de France et d’Europe, dans des zones où il y a peut-être une meilleure compréhension de notre secteur.

Dans une tribune que vous avez signée récemment dans le journal Libération, vous exprimez l’idée selon laquelle pour permettre l’adoption en confiance des innovations scientifiques, elles doivent apporter la preuve de leur contribution à une vie meilleure. S’agit-il selon vous du seul enjeu ?

Je pense que c’est le facteur principal, mais ce n’est pas le seul. L’élément économique est extrêmement important. Ces nouvelles technologies font émerger de nouveaux challenges dans le domaine très compliqué et tendu du financement de la santé. Celui-ci doit être observé dans la durée. Lorsque l’on fiabilise l’acte chirurgical, les économies ne sont pas forcément immédiates. Elles s’inscrivent dans la durée et à une échelle d’un pays ou d’une région. C’est là que le législateur a un rôle extrêmement important à jouer pour inciter à l’adoption de nouvelles technologies qui vont permettre de réaliser des économies à l’échelle d’un système de santé. Aujourd’hui, le fait de fiabiliser de quelques pourcents un acte chirurgical est totalement transparent à l’échelle d’un établissement. Mais à l’échelle d’un pays, cela change complètement les données.

La transparence est-elle un facteur important ?

D’une manière générale, des organismes certificateurs interviennent avant qu’une technologie de ce type ne soit mise sur le marché. Il s’agit du marquage CE en France et en Europe, et de la FDA (Food and Drug Administration) aux Etats-Unis. Il s’agit de contrôles draconiens, qui constituent d’ailleurs une barrière à l’entrée extrêmement forte. Cela explique pourquoi aussi peu d’entreprises sont présentes dans le secteur.

Vous attendez l’autorisation de la FDA pour Rosa Spine, votre robot spécialisé dans la colonne vertébrale. Cette autorisation vous ouvrirait les portes du marché américain. Constatez-vous que les instances de régulation américaines sont plus strictes que leurs homologues en Europe ?

Elles ont cette réputation, et cela se vérifie sur le terrain. C’est surtout la conséquence du fait que ces deux instances ont des approches juridiques très différentes. L’Europe a un système juridique basé sur le texte de loi, avec des codes censés prévoir toutes les situations possibles. Il faut démontrer qu’on a prévu toutes ces éventualités. C’est relativement théorique. L’approche réglementaire des Etats-Unis est en revanche très proche de leur philosophie juridique basée sur l’expérience, la jurisprudence. Il faut soit prouver que l’on est équivalent à quelque chose qui existe déjà, soit se lancer dans des études extrêmement fastidieuses pour démontrer de façon tangible toutes les performances qui sont revendiquées par le système. C’est une approche qui laisse davantage place à l’interprétation, à l’analyse de l’examinateur, et donc c’est beaucoup plus fastidieux.

Quel regard portez-vous sur le travail des instances de régulation en matière de construction de la confiance ?

Je pense que c’est leur devoir d’être extrêmement exigeantes. Il me paraît tout à fait normal qu’avant de donner l’autorisation à une entreprise qui développe une technologie robotisée qui intervient sur le corps humain, on s’assure que les choses vont bien se passer. C’est de l’intérêt du patient, mais aussi de notre secteur et de la société dans son ensemble. Aujourd’hui on peut se targuer du fait que la robotique fiabilise l’acte chirurgical. Les accidents sont une réalité, évidemment, mais leur nombre est extrêmement faible au regard des chiffres de la chirurgie traditionnelle. Il serait en tout cas préjudiciable que les organismes certificateurs ne fassent pas leur travail et qu’ils laissent des technologies insuffisamment abouties ou fiables intervenir sur le corps humain. Le risque serait de provoquer des accidents extrêmement graves pour le patient et qui finiraient par rejaillir sur l’ensemble du secteur. Je pense que ces organismes, qui ont un niveau d’exigence extrêmement élevé, sont parfaitement dans leur rôle.