Pour la présidente de la Fondation Entreprendre, l’emploi doit être au cœur de la société, et l’humain au cœur de l’entreprise. Une vision où la confiance est le socle de la création et de la créativité. Rencontre.

Quelle est la mission de la Fondation Entreprendre ?

L’objectif principal de la Fondation Entreprendre est de permettre à chacun d’être entrepreneur de sa vie. Cela signifie, tout d’abord, être acteur de son emploi voire créateur d’entreprise, mais aussi reprendre possession d’une dynamique de vie à l’heure où elle pourrait être affaiblie par les difficultés économiques.  Cela nécessite une revalorisation de l’entreprise qui est pour moi le lieu de l’épanouissement : une fois que les hommes et les femmes sont libérés des besoins premiers par le salaire et qu’il s ‘épanouissent dans leur rôle sociétal par leur emploi, ils peuvent plus facilement s’ouvrir au monde, à la culture, ou aux sujets de société… En ce sens, l’emploi est le premier soin à la personne. Concrètement, la fondation agit en accompagnant et en soutenant des associations terrain qui agissent pour développer l’Esprit d’entreprendre (notamment chez les jeunes) ou pour aider à la création ou reprise d’entreprises dans tous les secteurs de l’économie.

Quels sont les leviers d’action de la Fondation pour mobiliser les jeunes ? 

Par l‘implication d’entrepreneurs, La Fondation Entreprendre soutient des associations qui interviennent dans les écoles et qui transmettent aux jeunes la confiance en soi. Le monde de demain se trouve dans nos écoles, je n’invente rien en le disant. C’est à nous de donner aux jeunes l’envie de construire ce monde, de leur permettre de se projeter dans le futur.

Il nous semble nécessaire de leur faire prendre conscience qu’il y a une place pour chacun, pourvu que ces jeunes savent qui ils sont. Nous voulons faire en sorte qu’ils comprennent ce qu’est l’entreprise. Il est important que des entrepreneurs témoignent auprès des jeunes pour leur expliquer ces notions : la complémentarité des uns et des autres au sein de l’entreprise, mais aussi la joie que peut faire naitre l’entreprise en eux. Nous sommes tous faits pour « être entrepreneur de nos vies » quel que soit nos choix, nos capacités : c’est dans notre ADN et c’est ce qui permet de s’épanouir. Les entrepreneurs ont les capacités d’allumer la flamme de ces jeunes.

Nous souhaitons leur donner le souffle de la confiance dans la vie. Notre mission d’adultes consiste à ancrer cette confiance en eux. C’est grâce à elle qu’ils pourront avoir envie de se projeter, de créer leur emploi, leur entreprise. Sans confiance en soi, on ne peut pas avancer, tomber et se relever. Si l’environnement est en défiance vis à vis de moi, je serai fatalement en défiance personnelle.  Si au contraire l’environnement me dit que je vais bien faire, que j’ai en moi une pépite, alors je vais faire de belles choses. En échangeant avec un entrepreneur ces jeunes comprennent que nous sommes tous créateurs et nous souhaitons aider les enseignants à passer ce message.

Vous évoquez souvent le fait de placer l’homme au cœur de l’entreprise. Selon vous, ne pas respecter cette idée est-il un défaut de certaines entreprises aujourd’hui, trop axées sur la génération de profits ?

Le mot « entreprise » signifie « prendre en main ». Il y a nécessairement de l’humain derrière cette prise en main. Il n’existe pas d’entreprise sans hommes et sans femmes, et ces hommes et ces femmes doivent pouvoir s’épanouir dans leur mission. Je suis une personne positive, j’ai donc tendance à penser que lorsque certaines entreprises relèguent cette dimension humaine au second plan, c’est en raison de difficultés économiques ou de pressions diverses. Ce n’est certainement pas une volonté de détruire l’Homme qui travaille dans l’entreprise. Il s’agit plutôt d’un oubli d’une des priorités fondamentales de l’entreprise. Il est urgent de penser qu’il n’est jamais trop tard !  Aujourd’hui, le monde économique est en difficulté et de plus en plus de dirigeants réalisent l’importance du climat social ou de la RSE de leur entreprise.
Ne parle-t-on pas du pouls de l’entreprise ? Celle ci est donc intrinsèquement humaine…

Pour vous, la figure de l’entrepreneur souffre-t-elle d’un déficit de confiance de la part de la société ?

Au contraire. Je pense qu’au XXIe siècle, la société reprend confiance en l’entreprise et en l’entrepreneur car elle se rend compte que l’entreprise profite à tous, et que le renouveau économique s’opérera par ce biais-là. L’entrepreneur est en train de reprendre sa juste place. Cela est encore plus vivant chez jeunes entrepreneurs qui créent des sociétés innovantes basées sur le partage et le coworking.
J’ajouterais que la figure de l’entrepreneur est en train de changer, avec notre modèle tout entier. Aujourd’hui, l’entrepreneur est contraint – avec plaisir, je l’espère – au partage. Ce partage concerne le savoir, l’avoir et les prises de décision. Les entreprises sont en mutation : elles sont en train de s’organiser en forme partagée. Cette libération donne de l’air, du souffle, de l’inspiration. Tout le monde y a son rôle à jouer, quelle que soit sa place. Chacun doit pouvoir faire confiance à son entreprise et prendre sa place de collaborateur dans un schéma de galaxie et non dans un système pyramidal. Evidemment, cette mise en place de changement de paradigme  dépend de la taille de l’entreprise. Cette mutation est peut être plus facile à opérer dans une petite structure que dans une grande. J’aime cette idée de vivre dans un monde (certes, un peu idéaliste) où chacun aide l’autre à grandir dans l’entreprise, et ce, pour le bien commun. Cela prendra du temps, mais il est important que nous puissions tous y croire sur le long terme.

Frédéric Moulin, président du conseil d’administration de Deloitte France, estime que l’exemplarité du management est un élément déterminant de la construction de la confiance au sein de l’entreprise. Partagez-vous ce constat ? 

Je suis d’accord sur le fond mais j’émets une réserve sur la notion d’exemplarité, qui n’autorise pas l’erreur et ne permet pas le doute. Or, il faut laisser une place à la faiblesse, à ce côté humain que nous portons tous en nous. Je dirais qu’il est important de manager par l’exemple en insufflant la confiance et le partage. Pour moi, le management doit savoir être fort tout en restant humble. Il est fondamental de faire confiance à ses collaborateurs, et cette confiance accordée comporte une part de risque. Faire confiance, c’est ouvrir la porte à sa vulnérabilité. Cette démarche est une forme d’humanisme. Manager tout en ayant conscience que l’on peut être ébranlé dans sa confiance en soi nécessite une réelle grandeur d’âme. cela nécessite d’accepter d’être accompagné, conseillé, éclairé par l’autre. Pour y parvenir, le management requière une posture de confiance, l’envie de fédérer autour d’un projet commun et de partager l’amour des hommes et des femmes dans l’entreprise.
La confiance mutuelle accueille la force et la faiblesse de l’un ET de l’autre des parties. Ainsi les projets partagés auront de belles racines.

Pensez-vous qu’il y ait un manque de collaboration en France entre le secteur public et privé sur les questions économiques et sociales ?

Je me garderais bien de généraliser, surtout sur un sujet aussi complexe. Ce n’est pas toujours facile, mais on arrive parfois à créer des ponts entre ces deux secteurs. La Fondation Entreprendre en est un exemple avec la Caisse des Dépôts et l’université de Strasbourg au sein de son conseil d’administration. Nous soutenons par ailleurs l’association Les Entrepreneuriales, qui propose un challenge universitaire pluridisciplinaire. Elle fait se rencontrer des élèves d’écoles publiques et privées qui travaillent  ensemble sur un cas concret de création d’entreprises. Cela leur fait un vrai entrainement et, du coup, certains finissent par créer réellement leur entreprise. C’est un exemple de maillage qui peut se faire entre universités et grandes écoles privées. Il y a encore beaucoup à faire, mais je pense que le secteur public se rend de plus en plus compte de l’importance du privé. Le prisme des responsabilités des uns et des autres nous permettra assurément à terme, de sortir de l’Etat-providence tel que nous le connaissons encore actuellement.

Hervé Le Lous, le président du groupe de dispositifs médicaux Urgo, déclarait sur L’Equation de la  Confiance que les « family business » sont plus durables que d’autres formes de gouvernance d’entreprise. Partagez-vous ce point de vue ?

Je suis convaincue que c’est un mode de fonctionnement plus stable car il s’inscrit dans une vision à long terme. Cette vision est permise car les collaborateurs savent l’actionnariat stable. Je parle de ce que je connais [Blandine Mulliez est la fille d’André Mulliez, ancien PDG de Phildar et cousin du fondateur d’Auchan Gérard Mulliez, nldr] : dans une entreprise familiale, on se serre les coudes quand c’est dur et on développe les entreprises quand l’économie le permet. Nous accompagnons aussi nos entreprises en bienveillance dans les temps difficile et avec exigence quand tout va bien. La stabilité de l’entreprise permet donc la stabilité de l’emploi, qui libère l’énergie des collaborateurs. Pour porter une entreprise de long terme, il est important d’avoir des actionnaires qui restent groupés par le plaisir autant que par l’engagement entrepreneurial.

Ce qui m’amène à vous parler de deux autres dimensions importantes dans l’entreprise familiale : la transmission et l’affectio societatis.
La transmission : c’est le passage d’une génération à l’autre qui permet de s’inscrire dans cette vision de long terme. Il y a donc un vrai travail de lâcher prise des anciens et de confiance dans la nouvelle génération. De son côté, celle-ci doit aussi savoir prendre toute la mesure de la responsabilité de l’entreprise, et des hommes et des femmes qui la composent.

L’affectio-societatis : Pour porter les entreprises dans la durée, et ainsi faire confiance aux générations à venir, il est primordial de se connaître, de se respecter et d’avoir conscience de nos complémentarités intrafamiliales. Je suis très attachée à ce que cette animation soit forte et porteuse de sens et cela nécessite un réel engagement de tous.