Changements de processus, nouveaux outils, révolution du paradigme managérial : Françoise Mercadal-Delasalles, directrice des Ressources et de l’Innovation de Société Générale, explique comment la transformation digitale s’incarne au sein du groupe bancaire.

Vous avez rejoint Société Générale en 2008, en pleine crise financière. Dans ce contexte, comment avez-vous convaincu le Groupe de l’importance des enjeux du numérique ?

J’ai pris mes fonctions au sein de Société Générale quinze jours après la chute de Lehman Brothers. A l’époque l’enjeu était la survie de la banque et de la finance mondiale. Mon objectif se concentre alors sur l’industrialisation et l’optimisation des process pour rendre notre modèle opérationnel plus efficace.

 

L’ère digitale permet de décupler la force créative de l’intelligence collective grâce aux nouveaux outils.

 

Responsable des systèmes d’information du Groupe et d’une petite direction de l’innovation qui s’intéressait déjà à ce qui se passait dans la Silicon Valley, j’ai été nommée au même moment au conseil d’administration du Cigref, ce qui m’a permis de constater la force et la rapidité de la révolution numérique. Des acteurs majeurs de la communauté informatique, comme IBM, Microsoft et Oracle, commençaient à en observer les effets, et j’ai compris que la déferlante allait rapidement toucher le secteur bancaire. Les nouvelles technologies annonçaient la révolution de la relation client, avec le risque pour l’entreprise de disparaître si elle ne prenait pas le virage numérique à temps.

Comment avez-vous impulsé ce mouvement au sein de Société Générale ?

Dans un contexte de crise financière, le Groupe était mobilisé dans son ensemble autour du pilotage des risques et des sujets de régulation.
Société Générale est une grande entreprise Tech dont l’une des valeurs cardinales est l’innovation depuis plus de 150 ans. J’étais cependant persuadée, dès 2011, de l’urgence de comprendre et de répondre à l’évolution des comportements et des attentes de nos clients liée à l’explosion du numérique.

Pour faire évoluer les mentalités et sensibiliser le Groupe aux enjeux du digital, je me suis d’abord appuyée sur la participation de plusieurs intervenants extérieurs : Michel Serres au moment de la publication de Petite Poucette, Nicolas Colin pour L’Âge de la Multitude, Gilles Babinet…

Dans un deuxième temps, il nous est apparu essentiel d’utiliser les leviers de la transformation numérique pour démultiplier la force de l’intelligence collective grâce à de nouveaux outils ou devices.

Nous avons lancé en 2013 l’initiative PEPS (Projet expérimental participatif et stimulant) : en nous appuyant sur le réseau social d’entreprise, nous avons interrogé en direct nos collaborateurs sur le thème « Quelle sera la banque de demain ? » selon trois piliers fondateurs : Client, Team, Tech. Quels sont les nouveaux services à mettre en place pour transformer la relation client ? Comment le digital transforme-t-il la façon de travailler ensemble dans l’entreprise ? Quels sont les leviers technologiques permettant d’y parvenir ?
Une telle démarche était particulièrement innovante par rapport aux pratiques managériales du secteur bancaire de l’époque. Son succès a contribué à faire émerger ce sujet auprès des dirigeants et de montrer la nécessité d’élaborer une stratégie afin de piloter la transformation à venir.

Quelles ont été les grandes étapes de cette stratégie ?

Nous avons articulé notre stratégie autour d’une conviction centrale : l’ère digitale permet de décupler la force créative de l’intelligence collective grâce aux nouveaux outils. Il nous est apparu essentiel d’outiller les collaborateurs du Groupe. Après PEPS, nous avons lancé en 2014 le programme Digital for All. Nous avons déployé le Wifi à grande échelle au sein du Groupe et équipé 60 000 collaborateurs dans le monde d’une tablette qui leur donne accès à la fois au monde sécurisé de la banque et au monde ouvert d’Internet et des réseaux sociaux pour leur permettre de mieux répondre aux nouveaux comportements et attentes des clients, eux-mêmes ultra connectés.   

Parallèlement, nous avons développé notre stratégie d’innovation ouverte, en multipliant les contacts avec les nouveaux acteurs de l’écosystème digital dans le monde entier pour les mettre en relation avec nos besoins métiers et en immergeant nos équipes dans des tiers-lieux innovants comme Liberté Living Lab. Plus récemment au sein des Dunes, nouveau technopôle incarnant la transformation numérique du Groupe, accueillant 5 000 collaborateurs, un espace de 1000m2 accueille des startups internes et externes.

Sur quels sujets travaillez-vous aujourd’hui ?

Nous sommes mobilisés sur des chantiers très technologiques : les data (leur stockage, protection, gestion, analyse et exploitation) et la façon dont nous pouvons restituer des services à nos clients à partir de leurs données.

L’autre grand projet est culturel : il concerne la transformation managériale. Celle-ci doit être profonde, puissante et affirmée. Le terme d’« entreprise libérée » est très en vogue. Je pense que le point est ailleurs.

Pour moi, le sujet central est celui de la confiance, le lien fondamental qui nous unit à nos clients. La notion de tiers de confiance est au cœur de la stratégie du Groupe. Elle doit aussi être au cœur du comportement managérial qui génère l’agilité et la créativité : la confiance avant la preuve.

La confiance donne à chaque collaborateur la sécurité nécessaire pour penser le monde de demain. Elle aide les managers à trouver de nouveaux rôles dans un monde aux modes de travail beaucoup plus horizontaux : celui de facilitateur, de coach.

Concrètement, comment créer la confiance des collaborateurs dans un univers en pleine transformation ?

Il n’existe qu’une façon de créer la confiance : l’exemplarité. Il est indispensable d’opérer un changement de posture au sommet de l’organisation pour que la confiance se diffuse dans l’ensemble de l’entreprise. Cela peut se révéler très déstabilisant pour des dirigeants formés selon les méthodes scolaires françaises élitistes qui focalisent sur la détention du savoir. Aujourd’hui, à l’ère du savoir partagé, ce sont les « soft skills » ou compétences non-techniques qui permettent de faire la différence.