Comment rétablir la confiance entre le management et le board lorsque celle-ci fait défaut ? Quelle stratégie permet de former les administrateurs aux enjeux d’un groupe complexe ? Frédéric Rose, Directeur général de Technicolor, partage son expérience à la tête d’un groupe au board d’envergure mondiale.

Quelle est, pour vous, la valeur de la confiance ?

La confiance est essentielle pour assurer la réussite des équipes et de l’entreprise. Elle doit être présente à tous les niveaux : entre le dirigeant et l’équipe de direction, entre le directeur et le conseil d’administration, ou encore entre l’entreprise et ses clients. Sans confiance, l’entreprise ne peut pas fonctionner. C’est notamment le cas dans des business BtoB, comme Technicolor. 

Proposer des produits de qualité au prix juste ne suffit pas : il est également essentiel de gagner la confiance de toutes les parties prenantes de l’entreprise. Une entreprise peut d’ailleurs remporter un appel d’offre sans présenter le meilleur dossier, dans la mesure où elle a construit un capital confiance au cours du temps.

Bâtir cette confiance demande des années de travail, mais elle peut être brisée du jour au lendemain. Une fois perdue, il est extrêmement difficile de la reconstruire.
Il faut se garder de prendre la confiance pour un acquis : ce capital est à nourrir chaque jour.

Technicolor connaissait-il un déficit de confiance au moment de votre arrivée à la direction ?

J’ai découvert à mon arrivée une véritable culture de méfiance qui se matérialisait par un manque de confiance à la fois au sein des équipes opérationnelles, entre les divisions, et entre la direction opérationnelle et le conseil d’administration alors que ces relations sont pourtant essentielles au bon fonctionnement de l’entreprise. En ce qui concerne la gouvernance, les administrateurs n’avaient pas rempli leur rôle de suivi et de contribution à la stratégie. De son côté, le management avait manqué de transparence dans les informations communiquées au conseil.

Il a été nécessaire de crever cet abcès pour rétablir la confiance et que chacune des parties accepte ce constat d’échec partagé. Cette étape a été complétée d’un renouvellement par palier du conseil qui a permis d’apporter de nouvelles idées et de mettre sur la table des questions que personne ne posait plus depuis longtemps.

Cette stratégie ne pouvait fonctionner qu’en l’accompagnant d’une transparence accrue de la part de l’équipe de direction.

 

Dans nombre d’autres entreprises, les administrateurs ne prennent pas le temps de se préparer aux conseils, ce qui est extrêmement frustrant pour la direction.

 

J’ai pris temporairement la présidence du conseil, cumulant cette position avec celle de directeur général, ce qui m’a permis de lancer cette impulsion et d’améliorer la fluidité des échanges.

A l’issue de cette période transitoire d’environ un an, nous nous sommes mis à la recherche d’un président attestant d’une réelle compétence sur le plan des marchés et des technologies. Nous avons eu la chance de parvenir à convaincre Denis Ranque de prendre ce rôle. Il a fait de notre conseil d’administration ce qu’il est aujourd’hui, avec notamment un programme de renouvellement d’administrateurs dans la durée. Tous les membres du conseil n’ont pas été concernés par cette stratégie, certains d’entre eux étant détenteurs d’une vision historique qu’il était important de conserver.

Quel est votre position sur le cumul des fonctions de président du conseil et de directeur général ?

J’ai exercé ce cumul de façon exceptionnelle. La société était dans un état de crise absolue et demandait mon implication totale. J’ai mis un terme à cette situation le jour où le tribunal de commerce a sorti l’entreprise du conseil de sauvegarde.

En temps normal, la dissociation est essentielle. La relation de confiance doit être très forte entre le management et le conseil mais le directeur général doit s’investir totalement dans l’entreprise : son rôle n’est pas d’interagir avec les administrateurs.

Comment les relations entre le management et le conseil d’administration ont-elles évolué ?

Elles sont désormais excellentes. Le conseil est composé de membres hautement qualifiés, chacun dans son domaine, et les débats sont de grande qualité. Ces relations sont favorisées par la transparence et la confiance qui en découle. Les administrateurs ne sont pas toujours en accord avec la politique du management, mais ils savent qu’aucune information n’est tenue secrète. De son côté, le management sait pouvoir mobiliser les administrateurs et que ces derniers auront lu la documentation avant chaque conseil d’administration et réfléchi aux questions qu’ils souhaitaient poser. Le travail effectué en conseil est donc efficace et constructif.

Dans nombre d’autres entreprises, les administrateurs ne prennent pas le temps de se préparer aux conseils, ce qui est extrêmement frustrant pour la direction qui perd alors un temps précieux à présenter la documentation en début de séance.

La compréhension des métiers de Technicolor nécessite-t-elle un temps d’adaptation des administrateurs ?

Dans la mesure où un administrateur est expert d’un domaine donné, il est opérationnel immédiatement sur ce sujet. Au-delà de ce champ de compétence, un temps d’incubation et d’immersion est évidemment nécessaire, même si les administrateurs n’ont pas besoin de devenir spécialistes de chaque secteur d’activité de l’entreprise. Nous avons mis en place, il y a huit ans, un programme d’induction afin de fluidifier ce processus. Celui-ci prévoit des rencontres entre le nouvel administrateur et les personnes-clé du groupe combinées à des visites des sites, lui permettant d’appréhender les spécificités de l’entreprise sur une période de deux à trois mois.

Preuve de l’efficacité de ce système : parmi les trois administratrices qui nous ont rejoint il y a douze mois, l’une d’entre elles est devenue présidente du comité d’audit, et l’autre présidente du comité de nomination.

Pouvez-vous citer une situation où le conseil d’administration a influé sur la stratégie de Technicolor au cours des dernières années ?

Après une période de huit ans sans opérations de MesperluetteA [mergers and acquisitions, ndlr], nous avons procédé en 2015 à trois acquisitions. Nous étions soucieux que ces opérations, annoncées sur une période de trois mois, puissent être mal perçues par les marchés financiers. Le conseil d’administration, consulté à ce sujet, nous a conforté dans la direction que nous voulions prendre. Il a été très clair sur le fait que les opportunités stratégiques se présentaient rarement à des prix aussi avantageux.

Nos administrateurs considèrent, à juste titre, que l’avenir stratégique de l’entreprise prime sur le reste. Les fluctuations des marchés financiers ne doivent donc pas influencer les décisions.

Le conseil d’administration de Technicolor compte des comités spécialisés d’audit, des rémunérations, des nominations et gouvernance, ainsi qu’un comité stratégie. Il est en revanche dépourvu de comité d’innovation : pourquoi ?

La stratégie chez Technicolor est indissociable de l’innovation, celle-ci est fondamentale au groupe et à son avenir. Nous nous devons d’innover en permanence. Le comité stratégique est d’ailleurs le plus actif : c’est celui qui se réunit le plus souvent, et compte systématiquement de 80% à 100% de présence.