En collaboration avec Stéphane Bazoche, Associé Monitor Deloitte et Yves Jarlaud, Associé Conseil Responsable du secteur Santé et Sciences de la vie.

L’émergence de la médecine prédictive, fondée sur les progrès récents de la génétique moléculaire, suscite beaucoup d’espoirs et de débats. C’est autour de cette thématique que se sont réunis, le 9 mars dernier chez Deloitte, les participants aux 7èmes assises des technologies numériques de santé. Ce sujet est particulièrement important, en raison à la fois des opportunités qu’il représente pour les individus et les sociétés, mais aussi de toutes les questions qu’il soulève.

Prédire, prévenir, guérir : un nouveau continuum pour une nouvelle médecine?

Tentons de replacer la médecine prédictive dans ce que l’on pourrait appeler un « continuum » de la médecine : au guérir – l’objectif sur lequel se focalisent aujourd’hui tous les systèmes de santé – et au prévenir, s’ajoute désormais le prédire. Mieux vaut prévenir que guérir, nous dit l’adage… mais dans quel but exactement ? Pour prévenir ? Pour mieux guérir ? Pour guérir de manière plus systématique et avec un meilleur impact ? Se pose du même coup la question de l’investissement : où investir ? Dans la guérison, dans la prévention – avec tous les challenges que cela implique – ou dans les trois à la fois ? Et s’il faut investir, à quelle hauteur faut-il le faire ?

Si nous sommes en mesure aujourd’hui de parler de médecine prédictive, c’est en grande partie grâce aux progrès accélérés qu’ont connu ces dernières années à la fois la génomique et le big data. Notre connaissance de la génomique s’est considérablement accrue, et nous sommes désormais capables de décoder le génome humain de manière beaucoup plus rapide et efficace, y compris d’un point de vue financier. Autre évolution majeure : l’émergence du big data et, de manière générale, la multiplication exponentielle d’informations génomiques, cliniques et issues de l’expérience en vie réelle. Notre capacité à analyser toutes ces informations, de nature extrêmement différentes, permet de créer des modèles de prédiction de plus en plus efficaces et pertinents.

Ces évolutions conjointes ont favorisé l’émergence de la médecine dite de « prédiction », qui ne recouvre finalement pas une, mais plusieurs réalités. S’il est difficile, par là-même, d’en donner une définition exhaustive, citons quelques exemples – les plus emblématiques – des différentes pratiques prédictives qui existent aujourd’hui. Premier type de médecine prédictive : les tests présymptomatiques monogéniques, qui changent la façon de prédire des pathologies monogéniques comme la maladie de Huntington ou les glaucomes. Les tests de gènes de susceptibilité, ou multigéniques, modifient quant à eux notre approche d’un autre écosystème de pathologies : les maladies multifactorielles de type diabète, hypertension, cholestérol, Alzheimer, etc. Les tests diagnostiques permettent de s’assurer de la valeur ajoutée et de l’impact de thérapies ciblées, notamment dans le domaine de l’oncologie, pour des cancers de type cancer du sein ou cancer colorectal. L’analyse comportementale prédictive, enfin, davantage liée à la solution qu’on peut apporter en tant que société, doit permettre d’améliorer la santé individuelle, avec des thématiques liées à l’observance – très importante dans les maladies chroniques – ou à la réadmission hospitalière. Le fait de mieux comprendre les comportements et d’être capable de les prédire nous permet d’apporter des solutions extrêmement spécifiques.

Quelles cibles, et pour quels objectifs?

Nous sommes passés, historiquement, d’une médecine de guérison, basée sur le patient malade, à une médecine de prévention principalement basée sur la notion de population – la vaccination par exemple – puis à une médecine de prédiction, beaucoup plus personnalisée, et dont l’unité de focalisation est l’individu, en bonne santé ou non.

La médecine de prédiction nous amène donc à repenser la cible et l’objectif premier de la médecine. Avec, peut-être, le déploiement un peu plus systématique, efficace et pertinent d’une médecine à la fois prédictive et préventive, la plus personnalisée possible au niveau de l’individu et enfin participative, pour assurer à titre individuel et sociétal la meilleure prise en charge et la meilleure santé possibles.

Des questions et de nouveaux défis à relever

D’importantes opportunités se dessinent ; les ambitions sont fortes, pour tout le monde ; mais la médecine prédictive soulève aussi un certain nombre de nouvelles questions…

Des questions d’ordre technique et clinique d’abord : comment interpréter les modèles prédictifs, et avec quel degré de confiance ? Beaucoup de tests prédictifs sont basés sur des modèles d’apprentissage et sur l’intelligence artificielle. Quel crédit finalement leur apporter, et quand va-t-on considérer qu’ils sont suffisamment fiables pour être véritablement prédictifs ?

Des questions d’ordre économique, ensuite : quelle valeur crée cette médecine prédictive ? Comment rémunérer les acteurs qui vont investir et trouver de véritables solutions liées à la médecine prédictive ? Aux côtés des acteurs traditionnels, une nouvelle catégorie d’acteurs issus du big data et du traitement de l’information est en train d’investir très fortement et d’innover dans ce domaine. Comment tous ces acteurs vont-ils travailler ensemble au sein de ces nouveaux écosystèmes pour réaliser les ambitions de la médecine prédictive ?

Des questions, peut-être encore plus structurantes, d’ordre émotionnel, éthique et sociétal, se posent enfin : quid d’une médecine prédictive qui n’apporterait pas de solution ? Comment garantir et préserver la confidentialité des données, qui devient encore plus importante que par le passé, ainsi que le droit de ne pas savoir ?

La médecine prédictive se doit d’adresser ces différentes questions de manière systématique et en engageant l’ensemble des acteurs de son écosystème. C’est à cette condition qu’elle pourra atteindre ses ambitions et avoir un impact concret et tangible, à titre individuel et à titre sociétal, dans les domaines de la recherche clinique, du diagnostic et de la pratique médicale.

 

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