La France a besoin de réformes, depuis trente ans. Elle le sait bien, et s’y attend. Elle les demande même, sauf quand elles viennent. C’est alors que montent les difficultés multiples : les (nombreux) textes à changer et les (multiples) effets pervers sont toujours les premières ripostes, comme autant de chicanes. Puis les choses se compliquent, et l’on cherche alors des réformes où il n’y aurait « ni gagnant, ni perdant », ce qui ressemble furieusement au statu quo. Puis les défenseurs de telle catégorie vont intervenir plus nettement, non pas pour défendre leurs avantages, mais pour les défendre… pour le bien des autres. Tel statut protégé est ainsi le protecteur de tous, contre le patronat ou de ces pouvoirs politiques qui veulent « libéraliser ». L’indépendance, la qualité, l’impartialité sont ainsi tour à tour sollicités, sans qu’il soit bien certain que des systèmes, tous en déficit chronique, soient tous des modèles d’efficacité économique et sociale.

Mais ce qui est difficile, c’est de bien avoir recours aux experts. Il en faut pourtant, et de plus en plus, qu’il s’agisse de la SNCF, de la neutralité du Net, de la réforme des systèmes de soin ou de la cybercriminalité ! Les champs sont de plus en plus nombreux où l’on a besoin de ces spécialistes pointus, avec des batteries d’hypothèses et de calculs. C’est même la meilleure façon de ne pas tomber dans la défense des intérêts corporatifs. Il faut comparer les structures et les coûts, avec les avantages, dans d’autres régions, pays, systèmes. Bien sûr, il faudra toujours adapter les propositions et les solutions, tester, comparer.

Le cas le plus récent de discrédit des experts est le Brexit, où les travaux officiels ont été longtemps interdits, puis cachés, puis critiqués comme « orientés ». On en voit le résultat, au moins d’impréparation. Certes, mesurer les effets du Brexit ne va pas de soi, avec des résultats allant à une perte de 2 à 8% du PIB, et sans doute un sentier de croissance plus faible. Mais les Brexiters avancent en face quelques (brèves) études favorables, plus des théories conspirationnistes. Un débat technique sérieux n’a pas eu lieu : la peur, plus encore que l’idéologie, a joué. Et pourtant, au niveau des branches, il aurait pu avoir lieu, dans la pêche, l’agriculture, l’automobile…

Réformer, c’est réfléchir, innover et toujours chiffrer. Certes tout n’est pas quantifiable et il y aura toujours des erreurs, mais au moins la place de l’idéologie aura été réduite. Au moment où il s’agit de la SNCF, des systèmes de soin, des aides aux chômeurs, c’est maintenant qu’il faut chiffrer, calibrer et tester. Que veut donc dire « statut du cheminot » ? Pourquoi va-t-il des roulants, avec leurs astreintes, au personnel administratif et à la médecine du personnel ? C’est en chiffrant qu’on pose, au moins, quelques bonnes questions.

Dans l’entreprise aussi, changer c’est chiffrer, même si la culture du chiffre y est déjà plus importante. Mais au moment où il est tant question de disruption, de data, de nouvelles applications, il est de plus en plus nécessaire de montrer les enjeux, les logiques et les réactions. Surtout, ces travaux permettent plus aisément de comprendre et de changer. Jamais, en fait, les réformes n’ont été aussi nécessaires en un temps aussi bref. Surtout, jamais leur succès n’a autant dépendu de leur compréhension et de leur acceptation. Nous sommes tous entourés d’ordinateurs et téléphones portables, pour compter, changer, avancer et réussir. « Dépenser sans compter », c’est fou. Changer sans compter, c’est pire.

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