La France, dit l’Almanach Impérial (équivalent de l’Insee du Second Empire), contient trente-six millions de sujets. « Sans compter les sujets de mécontentement », ajoute Henri Rochefort dans la première phrase du premier numéro de La Lanterne (équivalent du Canard Enchaîné de l’époque). Nous sommes le premier juin 1868. Depuis, on peut dire que cette phrase a numériquement vieilli, nous sommes 66,6 millions, mais surtout qu’elle est devenue fausse. Nous sommes tout, sauf des « sujets ». Nous sommes même devenus des acteurs du mécontentement ! En effet, l’évolution des techniques de communication, où chacun peut émettre aisément et dire pratiquement ce qu’il veut, a multiplié les sources de messages, mais pas d’information crédible.

« Gérer » ou « gouverner » les Françaises et les Français est donc devenu plus difficile que jamais, mais pas impossible. Il ne s’agit évidemment plus, comme sous le Second Empire, de menacer et de licencier. Pour licencier, nous savons aujourd’hui à quel point la démarche est devenue complexe. Surtout, il ne s’agit plus de convaincre de travailler davantage – par les cadences, mais de travailler mieux – par la qualité.

Travailler mieux, dans une économie servicielle, c’est apporter ses capacités, son talent, son engagement personnel. L’économie servicielle demande une nouvelle productivité, une nouvelle compétitivité qui doit être complète. Mais, en contrepartie, il faut plus d’explication et de formation – pour avoir plus d’adhésion.

Le contrat de travail est de plus en plus incomplet. Il parle surtout de présence physique. On sait bien qu’il s’agit (s’agissait) de passer de la présence à l’obéissance, ce qui n’est pas toujours facile, mais surtout daté et pire : insuffisant. C’est d’adhésion qu’il s’agit désormais, ce qui est à la fois plus complexe et indispensable.

Présence d’abord : on sait que, juridiquement, un contrat de travail précise une mise à disposition de la « force de travail » pendant un certain nombre d’heures. L’obéissance n’est pas explicite, mais implicite. C’est la responsabilité conjointe de l’équipe, de son chef et du système de l’entreprise que de « transformer » ces heures de présence en prestations rentables. Elles seules, ainsi « transformées », garantissent la pérennité de l’emploi et de l’entreprise.

C’est ce qui explique une bonne part de la logique RH. Elle commence par des entretiens d’embauche puis, tout au cours de la période de travail, se poursuit par divers suivis, entretiens et « stimulants », ou des critiques, voire des sanctions. Il s’agit de combiner des objectifs avec des incitations, monétaires et non monétaires, aussi adaptées que possible à la personne, plus d’autres objectifs et incitations, venant cette fois de l’entreprise.

Adhésion aujourd’hui : rien n’est possible sans elle. C’est ce qui explique la charte des valeurs et engagements de l’entreprise, sociétaux et environnementaux le plus souvent. Ceci correspond à l’image externe et interne de l’entreprise, dont il s’agit de vérifier la mise en œuvre permanente, la cohérence et l’amélioration.

Great place to work : c’est là que nous sommes. Ceci concerne les locaux et l’environnement, les « packages salariaux », l’atmosphère de travail et les projets. L’adhésion vient de ce que l’entreprise se propose de faire, pour elle, ses salariés, ses parties-prenantes et la société. Le profit dans la durée demeure, mais il est plus complexe à obtenir que jamais dans la société plus complexe qu’est la nôtre.

A priori, on pourrait penser que tout ceci est bien compliqué, du temps perdu, des chartes inutiles ou des documents et cérémonies coûteux et sans grand intérêt. Mais c’est au contraire l’évolution indispensable de la fonction RH. C’est l’adhésion de chacun au travail de tous qui fait le succès, dans l’économie de services et de communication dans laquelle nous entrons. La carotte et le bâton, c’est pour les ânes ! En fait, nous sommes plus gouvernables que jamais, si on nous comprend et se comprend mieux.

 

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